L'affiche de ce Mustang est quand même, rétrospectivement, très bien trouvée, tant elle résume en une simple et belle image ce que ce sera le propos principal du film. Mustang, c'est l'histoire de cinq soeurs qui vont affoler leur entourage en s'amusant innocemment (du moins, c'est ce que la scène d'introduction veut nous montrer) avec les garçons du village. Outrage aux traditions ancestrales, leur désir de liberté sera rapidement et efficacement bailloné par leur oncle tyrannique, dans cette maison de campagne qui se transforme rapidement en Alcatraz de la jeunesse. Une à une, elles tenteront de se liguer face à la main de fer de la tradition, brandie par la famille et le voisinage.
Mustant apparaît comme un pamphlet contre les obscurantismes qui existent encore en Turquie et à travers le monde. Il faut savoir que la condition de la femme est très ambiguë en Turquie. La fin du XXème siècle l'a vue progresser de manière très efficace, grâce à des lois qui rappellent celles de n'importe quel autre pays d'Europe occidentale. C'est à l'arrivée d'Erdogan, qui n'a jamais caché son antipathie pour la cause féministe (il a même affirmé que l'égalité hommes-femmes était un "concept ridicule") que les quelques relents traditionnels de certains villages turques ont pu refaire surface impunément. Quelques petits amendements discrets plus tard, on se retrouve avec une aussi révoltante que celle décrite dans Mustang.
Deniz Gamze Ergüven a donc choisi de dépeindre une situation extrême pour mieux cerner le problème qui reste souvent seulement sous-jacent dans la majeure partie du pays. Mustang, qui est d'ailleurs son premier long-métrage, prend son temps pour bâtir son propos. Plus le film avance et plus le spectateur perçoit la moelle de ce que Ergüven veut nous faire comprendre. Outre les performances majuscules de ces petites actrices, outre l'écriture des personnages très soignée et réussie, outre la mise en scène sobre et efficace, c'est la lente construction d'un univers (la prison, à plusieurs degrés) habilement adossée au récit, qui fascine. Car au final, l'univers devient l'antagoniste, et en sortir le but ultime, que font miroiter les rares sorties seulement permises par l'audace des jeunes filles.
Un film qui, s'il n'évite pas certains clichés en raison de son choix plutôt radical concernant l'intrigue, réussit à emporter le spectateur exactement là où il annonçait de le faire: main dans la main avec ces soeurs au bord du terrible précipice de l'accomplissement de soi, au sein même d'une société hyper-conservatrice. Qu'elles contemplent secrètement d'en haut, se sentant à la fois fragiles et déterminées, comme une fleur à cinq pétales.