Le cinéma permet de voyager, de voir d'autres pays, cultures et histoires. Mustang fait parti de ces films qui illumine nos visages durant la séance, même si parfois c'est douloureux. Ce portrait de cinq jeunes filles enfermées dans un village reculé de Turquie, est aussi sublime que tragique. C'est un beau moment de cinéma, un de ceux qui me rappelle pourquoi j'aime cet art.
Le début du film est agaçant avec ces jeunes filles et garçons, riant toutes dents dehors et jouant habillés dans la mer, on dirait un mauvais clip pop pour teenagers. La réalisatrice Deniz Gamze Erguven ne fait pas dans la subtilité, en exagérant ce moment de joie annonçant les vacances d'été. C'est sa façon à elle de nous montrer un moment innocent, qui va prendre des proportions inimaginables, surtout pour ces jeunes filles. La délation n'est malheureusement pas une spécialité française et se pratique un peu partout dans le monde, par le biais de personnes ne trouvant que ce moyen pour exister.....Cet événement va chambouler leurs vies et avoir des conséquences dramatiques.
Ces cinq jeunes filles sont attachantes, leur complicité est touchante, leurs rires sont communicatifs, il y a de la joie dans leurs yeux et de la couleur dans leurs vêtements. Mais elles ne sont pas nées au bon endroit, dans un village reclus de Turquie où les traditions ont la vie dure. Elles sont sœurs et orphelines, élevées par une grand-mère leur laissant une trop grande liberté, selon leur oncle. Le scandale découlant de ce jeu innocent, va jeter la honte sur la famille. Il va devoir laver leur honneur, mais surtout le sien. L'immense maison familial en bord de mer, d'apparence idyllique, va devenir une prison pour elles.
Ce passage dans le monde des adultes, arrive trop tôt puis surtout, elles n'ont aucunes emprises sur leurs destins. La grand-mère reproduit ce qu'elle a vécu, tout en les protégeant, une attitude frisant la schizophrénie. Des femmes viennent les former pour en faire de bonnes épouses, avec des cours de cuisine, de couture et ménage. Elles transmettent leurs savoirs, tout en les empêchant de s'émanciper. Tout ce qui pourrait divertir et pervertir leurs esprits, sont mis sous clés. La couleur a disparu, les rires se font rares et le joie se dissout peu à peu dans le café qu'elles préparent pour la famille de leurs prétendants. L'ennui s'installe, mais parfois un moment de liberté furtif prend vie, par le biais d'un match de foot, offrant une scène des plus drôles, nous permettant de desserrer un peu la mâchoire face à leurs conditions de prisonnières impuissantes.
On veut qu'elles s'en sortent, on est avec elles et parfois même, on se surprend à avoir envie de les applaudir. Mais l'homme est le seul décideur, leurs libertés semblent passer par le mariage. Enfin, une fausse liberté en passant d'une prison à une autre, en partageant le lit d'un homme, qu'elles n'aiment pas mais vont apprendre à aimer avec le temps, dixit la grand-mère....Cinq jeunes filles, cinq destins mais il y a surtout la benjamine Lale (Güneş Nezihe Şensoy), l'insoumise, qui observe ses aînées, tout en cherchant une échappatoire pour rejoindre Istanbul, symbole de liberté. Aux rires succèdent les larmes, puis la dépression face à un avenir obscur. Surtout que le mâle est à l'intérieur, cet oncle entouré de ses jeunes filles à la sensualité naissante, attise ses sens. Mais heureusement, tout les hommes ne sont pas des êtres exécrables, comme toutes les femmes ne sont pas soumises.
Pour un premier film, **Deniz Gamze Erguven**signe une oeuvre émouvante et sincère, à travers le portrait de ces jeunes filles, interprétés par des actrices à la fraîcheur touchante. En dehors de la scène d'introduction, sa caméra colle à ses héroïnes, en étant sublimée par une magnifique photographie, rendant hommage à la beauté des paysages méditerranéens. Elle ne force ni le trait, ni ne tombe dans le pathos et pourtant, elle a plusieurs fois l'occasion de sombrer dans la facilité. Mais elle évite les écueils inhérents au genre, en alternant entre les rires et les larmes. Pour autant, on reste sur la défensive, la mâchoire serrée et la larme au bord de l’œil. Comme Lale, on observe, on subit et on souffre avec elles, tout en cherchant la faille pour fuir et enfin vivre. Malheureusement, il faut le sacrifice des aînées, pour le meilleur et le pire, pour qu'une lueur d'espoir fasse à nouveau son apparition, pour qu'elle puisse s'émanciper et enfin retrouver un peu de bonheur.
Mustang est une oeuvre qui ne laisse pas indifférent, elle parle d'une réalité, de traditions encore d'actualités, d'un monde où l'homme reste dominant, en dictant ses lois, tout en les contournant. On pense à Virgin Suicides, mais la culture et le contexte sont différents. C'est difficile d'être une femme sur cette terre hostile, quelque soit le pays ou la culture. Deniz Gamze Erguven parle de ce qu'elle connait, ce qui rend le film touchant et émouvant. Un film à voir, pour la beauté de ses plans, de son sujet et de ces actrices toutes exceptionnelles et attendrissantes.