Mustang par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Dans un village au bord de la Mer Noire, bien loin d'Istanbul, la cloche a sonné, l'école est finie mais la joie ne viendra pas pour cinq jeunes filles orphelines qui vont avoir la malchance de rencontrer un groupe de copains de leur école. Ensemble ils fêtent alors sur une petite plage le début des vacances. Les garçons prennent les filles sur leurs épaules et c'est à qui fera tomber l'autre dans l'eau sous les rires et les cris. Mais dans ce village reculé de la Mer Noire tout finit par très vite se savoir. La famille et notamment leur oncle ne peut admettre une telle "indécence". À leur retour les filles vont subir les conséquences de cet acte peu prisé par l'intégrisme et le fanatisme de la famille. Elles vont être séquestrées pour les couper du monde et les préparer à des "mariages arrangés". Néanmoins la résistance s'organise...


Le mustang est un cheval redevenu à l'état sauvage. Il aime s'ébattre en toute liberté comme les cinq héroïnes de ce film. Celles-ci ne demandaient rien de plus que de vivre en profitant de l'adolescence en toute innocence, sauf que la rigueur et l'intérêt de certains se mettent en travers de l'évolution et de l'émancipation féminine sous couvert de traditions ancestrales. Un jeu banal auquel nous avons presque tous joué déclenche les passions, la répression et l'enfermement. Il entraîne l'oncle à se brouiller avec sa propre mère à qui il reproche son laxisme dans l'éducation des enfants.
Il entraîne également des visites humiliantes chez le gynécologue afin de s'assurer de leur virginité. Et puis la vie continue de manière révoltante dans la demeure transformée en forteresse. Les jeunes filles tentent de résister avec l'énergie du désespoir.
Pour les adolescentes vient le jour du grand supplice: la présentation d'un garçon inconnu de la future épouse. Arrive alors le moment crucial de la noce qui est une fête et promesse de pécule. On tire des coups de feu en l'air, on chante, on danse, on boit bien et puis tous attendent que la nuit de noces soit consommée pour exhiber le drap taché de sang devant l'assistance en délire et gare au conséquences si ce morceau de tissu ne porte aucune trace. Ainsi les "marchands d'esclaves" ont terminé leur sale besogne. La cadette ulcérée décide de prendre les choses en main. Elle ne veut pas subir ce sort. Il faut quitter ce "château fort", il faut coûte que coûte migrer vers Istanbul où réside son enseignante, seul refuge possible, là où les mentalités ne sont pas les mêmes. Mais l'oncle et la famille veillent afin que les recluses restent enfermées comme de pauvres petits oiseaux en cage. Ainsi vont les coutumes et l'extrémisme des religions qui transforment les jeux innocents, le flirt et l'amour en vice et en maladie presque incurables méritant un "traitement de choc".


Deniz Gamze Ergüven est une jeune réalisatrice née à Ankara. Elle réalise donc en connaissance de cause son premier film qui fut présenté au "Festival de Cannes". Elle porte à l'écran un sujet malheureusement tabou dans certains pays d'ailleurs très proches du nôtre et dont de nombreux artistes dénoncent les atrocités. Le témoignage de la réalisatrice vient s'ajouter à la liste déjà longue afin que ces drames quotidiens soient dénoncés et combattus par nous-mêmes et tous ceux épris de justice et de liberté. Les traditions sont difficiles à faire évoluer, l'extrémisme de certaines religions est un combat de chaque jour et tout ceci est très bien démontré dans cette œuvre courageuse dont on oubliera les petites maladresses d'un premier film ô combien courageux!
Nous sommes nombreux à avoir senti le parfum de "Virgin suicides" dans ce film. C'est vrai mais comment peut-il en être autrement ? On ne peut que louer Deniz Gamze Ergüven dans son entreprise ainsi que ses actrices tentant de nous convaincre avec un sujet qu'elles ne connaissent malheureusement que trop bien.
Tuğba Sungu­roğlu, Ilayda Akdoğan, Doğa Zeynep Doğuşlu, Güneş Nezihe Şensoy et Elit Iscan, sont des noms qui ne nous disaient pas grand chose. Ce sont les jeunes actrices qui "vivent" ce film avec un enthousiasme débordant et qui sont ici unies comme les cinq doigts de la main.


Voir ce film est presque un devoir, c'est celui de ne pas se voiler la face et de ne pas esquiver le problème des femmes pour la plupart sans défense dans ce monde que l'on nomme "moderne" mais qui renferme en son sein beaucoup de traditions malsaines et barbares, au nom de différentes idées coupables. Cette œuvre est donc une nécessité, ne la boudez surtout pas.


Ce film a obtenu :



  • Le César 2016 du meilleur premier film.

Grard-Rocher
8
Écrit par

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le 8 mai 2016

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