David Mackenzie affectionne les films d’ambiance moite où des scènes de coït frontales tâchent de contrecarrer la froideur d’un contexte tout britannique hanté par la perspective de crimes passés ou à venir. Mais de film en film – Young Adam en 2003, l’inédit en France Asylum en 2005, et maintenant celui-ci –, le sexe, composante censément subversive, ne finit par apparaître chez ce cinéaste que comme un simple condiment propre à épicer des compositions plutôt fades, à la lecture trop calculée et prévisible, donc finalement assez conservatrice. Si Mackenzie connaît au moins ses classiques en matière de cinéma transgressif interrogeant la conscience, la démonstration qu’en constitue Hallam Foe a trop peu de choses à y ajouter pour être intéressante, et la jouissance qu’il simule est trop encadrée pour être communicative.

Avec un héros dont le nom semble tiré de la littérature anglaise de la fin du XIXe siècle, un décor urbain dominant – Édimbourg – superposant rues de polar et toits de bâtisses médiévales, Hallam Foe aurait pu s’orienter vers un récit d’apprentissage au ton hybride et au décalage libérateur, dont l’ambiance puiserait entre le drame des romans de Dickens et le picaresque des aventures de Till l’Espiègle, rebelle fameux des contes germaniques. Hélas, si cette séparation de l’environnement en deux espaces parallèles comme deux réalités constitue peut-être la plus prometteuse idée du film, elle n’est traitée à la longue que comme élément purement décoratif, une belle tapisserie en toile de fond. Des idées, le film n’en manque pas pour tenter de rendre les tribulations du jeune Hallam Foe aussi peu conventionnelles que possible. Mais à celles qui pourraient exprimer en sous-main une lecture personnelle et sortant réellement des sentiers battus, Mackenzie préfère celles qui, renvoyant complaisamment à d’autres sources (principalement Hitchcock et le premier article de psychanalyse qui a dû tomber sous la main du réalisateur de Young Adam), surlignent consciencieusement des tenants et aboutissants déjà usés à force d’avoir été exploités au cinéma à tort et à travers. Son film voudrait être un conte vivant, pertinent et transgressif de la maturité qu’on appréhende : il n’est qu’un assemblage froid, balisé et sans âme, moins préoccupé de ce qu’il raconte que de sa recherche d’une richesse d’interprétation d’autant plus dérisoire que celle-ci n’est pas sienne.

Le jeune Hallam, donc, adolescent en quête d’identité vivant reclus dans son petit monde – une cabane dans les arbres où il arbore une peau de bête et chérit le souvenir de sa mère décédée –, est persuadé que c’est la nouvelle compagne de son père qui a balancé celle-ci au fond d’un lac. L’atmosphère familiale irrespirable le pousse à fuir vers la grande ville, sur les toits de laquelle il mène une vie de semi-marginal, épiant de son perchoir les habitants et leur bavant sur la tête à l’occasion. Tout à ses activités de voyeur gentiment rebelle, il tombe en arrêt devant une superbe blonde ressemblant trait pour trait à maman, laquelle deviendra la cible exclusive de ses yeux gourmands… Scénario et mise en scène accumulent ainsi les petites bizarreries, les touches politiquement incorrectes sur la famille et la sexualité, les clins d’œil à un Hitchcock (thème du voyeurisme, confusion des morts et des vivants tirée de Vertigo) qui a bien labouré le terrain avant lui et d’autant plus finement que ce dernier travaillait sur son propre puritanisme sans avoir, lui, à se prétendre d’avant-garde. L’ennui est que tout l’attirail d’excentricité de Mackenzie s’avère ne servir qu’à illustrer des thèmes devenus lieux communs qu’il arbore, assez fièrement, en guise de propos personnel. Il faut entendre une des dernières répliques vachardes de la belle-mère pour réaliser l’aplomb du cinéaste satisfait de son sous-texte qui, en l’absence de suggestion dans son traitement, n’en est plus un depuis longtemps. Œdipe et son complexe, angoisse de la puberté, vague nécrophilie, voyeurisme confronté à lui-même, et en guise d’intrus l’ineffable cliché opposant la blonde angélique à la brune perverse : tous ces éléments thématiques reconnaissables sont convoqués à défiler sans grâce pour tenter de composer un discours à l’intelligence préconçue et impersonnelle.

Évidemment, il y a du sexe. Les scènes d’actes sexuels, de préférence à découvert et sous un climat humide, sont devenus une habitude chez Mackenzie, à la fois une marotte et une forme de signature au parfum de scandale, indice supposé de liberté morale, mais qui tend à perdre de sa pertinence au fil de la filmographie du cinéaste. Dans le plutôt bon Young Adam (2003), le désir charnel permanent contribuait à dessiner le trouble personnage principal qu’incarnait Ewan McGregor. Dans Asylum (2005), si la passion adultère en tirait une incarnation supposée propre à miner l’ordre social, l’audace relatives des scènes de sexe échouait malgré tout à secouer l’académisme raide de l’ensemble. Enfin, dans cet Hallam Foe, la sexualité explicite à laquelle est confronté le jeune héros sert surtout à illustrer complaisamment l’attirail thématique que le film rabâche sans réelles idées. Un attirail dont l’épaisseur tend même à désamorcer les tentatives de distiller le trouble par l’exposition des chairs nues en action, tant on voit venir celles-ci d’assez loin. On pourrait être tenté de voir en Mackenzie un jouisseur, tempérament pas condamnable en soi, surtout s’il se mue en plaisir de cinéma. Mais le fait qu’ici la bagatelle n’est au fond qu’un accessoire au service d’un propos convenu et fabriqué (au même titre que les sommets pittoresques d’Edimbourg, la peau de bête pour vêtir l’enfant sauvage, ou la musique rock pour hurler une supposée jeunesse d’esprit) incite plutôt à soupçonner le cinéaste de simuler – ou du moins de tirer un plaisir dérisoire de sa représentation poseuse des élans de ses personnages.

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Auteur : Wesley
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le 25 nov. 2012

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