Les déviances caractéristiques du cinévore insatiable comportent au moins deux symptômes emblématiques: la capacité de voir une douceur subtile de 1913 avec le même appétit qu’une sucrerie dégoulinante de 2014, et celle de plonger sans broncher dans le cinéma glacé du bout du monde, fut-il représenté par un pays dont le fleuron architectural se limite à l’assemblage disgracieux et hâtif d’une quinzaine de parpaings mal scellés au milieu d’un morne no man’s land où s’amoncellent d’austères détritus sous une couche blafarde de nuages poisseux, transpirants de continuelles gouttes de déprime.
Ces déviances, cela va de soi, font de cet amateur incontinent du septième art la risée du consommateur lambda, parfaitement à l’aise, lui, avec avec l’évolution du cinéma actuel.
Univers sale soldier
Et pourtant, comment ne pas immédiatement bicher cette plongée stupéfiante dans un Kurdistan nouveau-né qui émerge maladroitement d’une quinzaine d’année de combat, notamment contre l’Irak ? Quand elle bénéficie de cet habillage impeccable (photo magnifique, montage au rythme parfait), cette immersion touche au cœur de toutes ses cibles, et transforme une trame relativement banale et pourquoi prévisible en bonheur protéiforme.
La découverte de ce bout de terre, d’abord: bien plus immersive que 15 reportages démonstratif ou bavard. Débarrassé de son attirail technologique et de son mode de vie trompeusement rapide, qui voilent sa contemplation et faussent son étude, l’être humain, réduit à ses fonctions élémentaires, se révèle dans toute sa vérité profonde. Ce qui permet au spectateur de mesurer ce qui le rapproche non seulement de son congénère le plus éloigné (jusque dans ce fascinant trou du cul du monde), mais aussi de celui des siècles passés et à venir. Et comme d’habitude, de se rendre compte que ce qui l’en différencie est bien moins révélateur que ce qui l’en rapproche.
Car c’est une des questions passionnantes que soulève ce film presque parfait. On se demande trop souvent quel cours différent aurait pu prendre notre vie, en oubliant cette autre interrogation beaucoup plus vertigineuse: quelle aurait été notre vie dans un contexte (époque, lieu) entièrement différent ?
Placés dans la position de Baran ou Govend, qui serions-nous ? Quelle facette de notre personnalité prendrait le dessus?
Un sergent à Pepperland
Avec son faux-air de eastern moderne (un shérif et une institutrice face à un seigneur de la guerre local et à la rumeur villageoise), le film d’Hier Saleem embrasse organiquement et sans artifice une palette sacrément complète. Politique (la loi face à la coutume, les rapports de force), sociale (la place de la femme, le poids du qu’en dira-t-on, les début erratique de la justice, la pesanteur d’une mère) ou historique (le passage de la guerre à la paix, la place de la religion et de la tradition dans un état jeune et sans autorité indiscutable) "my sweet Pepperland" est un plaisir à entrées multiples, parfaitement servi par un couple d’acteurs au charisme épatant.
Pas totalement imprévisible, pas aussi drôle que ce qu’essaie de nous survendre la jaquette de l’édition bluray/DVD, mais bien plus riche et complet que la simplicité de sa trame laisse entrevoir, une comédie dramatique quasi-parfaite, qui sait jusqu’au bout ne pas trop tirer sur la Kurde.