Risquons nous à parler des Mystères de Lisbonne :
d'abord, pour entrevoir quelque chose de Raoul Ruiz, pensons en particulier à son petit film étrange, L'hypothèse du tableau volé* : accueilli par un professeur ou un collectionneur d'art, nous parcourons durant une heure un genre de manoir où chaque pièce contient son tableau, mis en scène en trois dimensions, avec des hommes et femmes presque figés. On y cherche le tableau manquant, qui expliquerait l'histoire ou bien qui en dévoilerait la véritable trame.

Dans les Mystères de Lisbonne, on déambule tout aussi bien de peintures en peintures et cette fois, la balade dure plus de quatre heures - le temps de construire ou de déconstruire des trames de vie (nous sommes toujours dans l'idée d'une narration à qui il manque quelque chose : l'inconnu paternel pour João, par exemple).

Les peintures ne sont plus tableaux fixes comme dans son vieux film, elles prennent vie par la couleur (magnifique photographie, souvenirs de peintres à la délicate lumière), par le jeu mouvant des acteurs et par la caméra - elle profite des décors somptueux pour nous emmener avec elle, lors de longs plans séquences, regarder ailleurs. Pendant ces quatre heures de déambulation, la mise en scène ne cesse de surprendre, d'oser de nouvelles choses, de l'audace que diable ! et toujours comme nourriture à l'histoire, c'est-à-dire loin d'une gratuité de simple esthète vide.

On se perd, bien sûr ! De souvenirs en souvenirs, on ne sait plus ce qu'on cherche - le père est trouvé, le beau-père a son mot à dire. J'imagine la romance de Roméo et Juliette : que se passe-t-il si Juliette survit et accouche d'un enfant ; que devient l'enfant, Juliette devant se marier ? Que devient le nouveau mari du Juliette, injustement mal-aimé ? Que devient la maîtresse du nouveau mari de Juliette, doit-on lui en vouloir ? Que devient l'homme qui a sauvé l'enfant de Roméo et Juliette de la mort commandée par ce nouveau mari ?
Il faut voir la pièce du père, le religieux, avec tous ses costumes - reliques de ses vies passées pourtant si proches, le crâne de sa mère sagement entreposée avec eux, bienveillante présence - pour entrevoir la multitude de rencontres inopinées, en portugais, en anglais ou en français - c'est selon -, dont on se délecte avec enthousiasme.

Raoul Ruiz nous offre une forme d'omnipotence narrative mais les labyrinthes historiques qui amènent à tel lieu, tel endroit avec telle personne sont trop grands pour le spectateur - extase de savoir que l'on approche de la vérité. Les Mystères de Lisbonne se referment en toute beauté sur eux-mêmes, dans la répétition d'une phrase anodine.

* https://www.youtube.com/watch?v=cYSQa76sxsw&list=PL3VR_3rfmC-Tm9p6DcqqjEYlg2udMZ73R
slowpress
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le 27 oct. 2014

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