Fresque épique de près de 3h, ‘’Straight Outta Compton’’ est l’œuvre incroyablement mature, et réussie d’un réalisateur, F. Gary Gray, plutôt habitué à des œuvres oubliables. Si ce n’est ‘’Friday’’ en 1995, sa première réalisation, après une carrière dans le clip de rap, allant d’Ice-Cube à Cypress Hill, en passant par Coolio et Will Smith. Un type qui connaît donc plutôt bien le milieu dont il est question dans ce film.


Mais qui, ne l’oublions pas, s’est aussi rendu coupable de ‘’Be Cool’’, ‘’Fast & Furious 8’’ ou du dernier ‘’Men in Black : International’’. C’est donc habituellement plus un yes-man qui réalise gentiment ce qu’on lui demande, sans réelle vision, comme c’est ici le cas.


‘’Straight Outta Compton’’ retrace l’épopée d’un groupe de jeunes Afro-Américain du comté de Compton, dans le Los Angeles des années, Un endroit défavorisé, terrain de jeu des gangs, et d’une police à bout de nerf pour qui le moindre Noir est un suspect. C’est donc aux règlements de comptes entre gang et une violence policière faite d’impunité, qu’est confrontée toute une jeunesse. Confinée dans un ghetto, sans réelles opportunités d’avenir.


Bien décidés à se sortir de cette vie qui n’annonce rien de bon, une poignée de jeunes vingtenaires se lancent dans la musique. Développant des bits rudes accompagnés de samples efficaces, ils balancent en flow des paroles violentes et sans concessions, inspirées de leurs vies, et de leur quotidien, desquels ils tirent l’essence même de leur art.


Décriés, prit pour cible par les ligues de parents et l’intelligentsia conservatrice, ainsi qu’une police appréciant peu leur hymne ‘’Fuck Da Police’’. Morceau écrit après que le groupe, en plein enregistrement, se soient fait contrôler arbitrairement et brutalement, alors qu’ils traînaient sur un trottoir en face du studio.


Une culture de la révolte qui n’est pas sans rappeler le mouvement de l’ANC en Afrique du Sud, qui sous l’Apartheid fit naître toute une sous-culture basée sur l’idée même de l’insoumission face à un régime violent et injuste. Le parallèle peut sembler un peu poussif, mais au final les membres de N.W.A ne sont rien d’autre que des êtres humains en quêtes d’équités, face à un système qui a complètement fermé les yeux sur leur condition.


Le métrage s’intéresse ainsi aux origines des membres de N.W.A (‘’Niggaz Wit Attitudes’’), et de la formation du groupe en 1988 jusqu’à son éclatement suite à des magouilles financières, des problèmes d’égo et une gestion douteuse de la part de leur producteur. Chute qui culmine en 1995 par la mort du leader Easy-E, des suite d’une maladie.


C’est donc une grande partie d’Histoire dans laquelle se lance ‘’Straight Outta Compton’’, car au-delà N.W.A, c’est à toute la naissance d’un style musicale que le film s’intéresse. De sa naissance à son déclin. Puisqu’à partir du moment où ses membres gagnent en notoriétés, et sortent de Compton, leur quotidien devient la thune, la drogue et le sexe : classique. Ils ne sont plus victimes d’une société inégale, broyant quiconque n’est pas né dans le bon quartier.


Ils font dès lors parti du système, tout en portant apologie au style gangsta, passant d’un statut de victime à celui d’idéologue. Développant tout un imaginaire d’une violence injustifiée qui se répand dans la culture hip-hop, menant inexorablement à la mort de 2Pac en 1996, et de The Notorious B.I.G en 1997.


À mesure que les rappeurs ‘’gangsta’’ s’embourgeoisent, leurs inquiétudes, leur quotidien, cette colère légitime qui alimentait leur rap, n’a plus tellement de raison d’être. Dans un premier temps ils règlent leurs comptes par albums interposés. Sur ce point, la rivalité entre Easy-E et Dr Dre, n’est pas tellement creusée dans le film. Sans doute une volonté de la part de Dre, producteur sur le film, de nuancer une période délicate, puisque l’ensemble du métrage ressemble tout de même à une forme d’hommage à leur frère disparu prématurément.


Lorsque le film s’arrête, Dr Dre devient le producteur, tel qu’il est connu aujourd’hui, et Ice-Cube amorce une carrière au cinéma. En gros la vie continue, et cet aspect est un peu expédié lors du générique. Mais c’est peu dommageable, puisque l’intérêt de ‘’Straight Outta Compton’’ est ce qu’il conte à sa manière, son regard sur ce qu’il s’est passé, et non sur ce que c’est devenu.


Avec une grande maîtrise de son sujet, et une narration claire étalée sur près de 8 ans, le film parvient vraiment à capter la chaleur d’une époque. Que ce soit la grande pauvreté dans les ghettos, que 8 ans d’un reaganisme criminel ont réduit à la misère, ou encore les émeutes de 1992-93, des rues en feux au passage à tabac de Rodney King, par des policiers filmés à leur insu. Une image peu glorieuse des États-Unis, traduite par des voix qui se sont élevées, pour revendiquer un droit à une vie ‘’normal’’. Sans craindre la police lors de promenades sur le trottoir.


Le film reflète un véritable malaise, qui à la date de sa sortie en 2015 était encore présent dans le pays. À travers le mouvement Black Live Matters, par exemple. Il existe encore aujourd’hui aux Etats-Unis l’impunité d’une partie de la police, pour qui les Afro sont des cibles mouvantes. L’année de sortie de ‘’Straight Outta Compton’’ n’a rien du hasard, tellement il se fait l’écho de ce qu’il se passe. Un ans avant Trump président, et deux ans avant Charlottesville.


Avec un casting des plus convaincants, impliqué comme il faut, et une linéarité exemplaire, qui rend clair un récit où énormément d’informations se croisent et se bousculent, avec beaucoup de personnages, puisque l’époque est bouillante, et ce n’est pas si simple de capturer ça sur pellicule. Ce n’est pas le genre de projet gagné d’avance.


Biopic audacieux et réussi, il est tout de même possible de regretter une certaine complaisance, certainement dû au fait que Ice-Cube et Dr Dre soit impliqués dans la production. Ainsi que la présence des différents membres de N.W.A durant le tournage. Au point même que le comédien qui interprète Ice-Cube n’est autre que O’Shea Jackson Jr., son propre fils…


Les manques de nuances concernent avant tout les difficultés humaines, qui au final ne concernent que ceux qui les ont vécus. En 20 ans, Dr Dre, comme Ice-Cube ont fait leur deuil d’Easy-E. Débarquer avec une œuvre à charge n’aurait eu aucun intérêt. Le film ne tombe ainsi jamais dans le sensationnalisme, et laisse beaucoup des problèmes personnels d’Easy-E de côté, pour s’intéresser à l’essentiel : le microcosme gravitant autour de N.W.A.


Pour anecdote, le vrai Suge Knight, producteur bourrin important de la période, mêlés dans de sales affaires, dont la mort de 2Pac et The Notorious B.I.G. Présent dans le film sous les traits de R. Marcos Taylor, il a durant le tournage tué son associé en le renversant et en lui roulant dessus. Il a été condamné à 28 ans de prison. Une affaire qui démontre que même 25 ans après les événements du film, une atmosphère sulfureuse réside autour de certains personnages peu recommandables, issus du gangsta rap.


Œuvre magistrale s’il en est, ‘’Straight Outta Compton’’ est un témoignage, hollywoodien, d’une période riche, durant laquelle la musique a connue l’un de ses plus grands tournant, avec la démocratisation du rap, ses bits rêches, et ses paroles brutales. Un film important pour ce qu’il évoque et ce qu’il transmet, loin de tout fatalisme, dans une conception très américaine du ‘’do it yourself’’.


À prendre tel qu’il est, soit l’évocation passionnée d’un succès hors du commun, qui a fait sortir de la misère des jeunes voués à un avenir des plus merdeux, en les poussant à réinventer tout un pan de la culture musicale. Rien que ça.


-Stork._

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le 15 mars 2020

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Peeping Stork

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