Napoléon
5.1
Napoléon

Film de Ridley Scott (2023)

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Sous le manteau d'hermine, un coeur fendu...

On se réjouit de ce tumulte cinématographique provoqué par l'encre numérique déversée par hectolitres sur les réseaux sociaux. Les papiers admonestent le Bonaparte de Ridley Scott avec toute l'aisance de la formule et du bon mot. On se réjouit car oui, le Cinéma est bien vivant et il aura fallu que le vieil Anglois de 85 balais mette les mains dans le cambouis pour y parvenir. Entendons-nous, aujourd'hui, chaque film événement, clive, animé de ses adorateurs et de ses branches dissidentes. Que les raisons invoquées soient couchées sous l'angle de la bonne foi ou du vilain mensonge, de l'ironie ou du cynisme, l'effervescence des goûts contraires provoque la saveur de l'expérience artistique pleinement partagée. La fabuleuse danse des critiques amène surtout à s'interroger sur le bien fondé du Septième Art (l'omniscience d'un cinéaste sur le point de vue) mais plus profondément sur la ligitimité du doigté Scottien. Plus encore si celui-ci donne corps à une légendaire figure "Françoise" relançant le débat de "Tu n'es pas un nain comment oses-tu adapter Blanche-Neige ?" Dans la version de Napoléon qui est sienne, le réalisateur de Blade Runner laisse place à sa faconde envoyant bouler critiques, journalistes et...historiens. Aucun louvoiement pour s'accaparer la sympathie du spectateur, Bonaparte sera donc un sacré con. Visage marmoréen, la rigidité du corps de Phoenix se prête à la gestuelle de L'empereur. Il se cache un lourd Secret derrière ce faciès figé par le ciment de la sociopathie. Seul le coup d'Etat vient à tordre cette bouche et seul ce manque d'Amour (et de reconnaissance) vient à déchirer cet esprit. L'ambivalence de Bonaparte (tout comme celle de Joséphine) convient à séparer le soldat et l'homme définitivement plus à l'aise sur un cheval que dans un lit. Le conquérant chevauche sa promise sans obtenir ne serait-ce qu'un râle. Sa plus belle conquête ne sera jamais une victoire. (parlons-nous de romance alors que tout Amour est tué dans l'oeuf ?)

Napoléon boudeur, Bonaparte taquin, le trait paraît trop épais pour la gente Critique mais elle synthétise ce que Ridley Scott célèbre depuis ses premiers travaux, la double personnalité. La schizophrénie latente du Blade Runner (homme ou répliquant ?), l'androïde David de Prometheus (serviteur ou annihilateur du genre humain ?) Moïse (Bon père de famille ou vieux fou assailli par la foi ?) Jacques le Gris (Combattant valeureux et violeur ?) Patricia Reggiani/Gucci (femme amoureuse et Conquérante ?) Etc...

Mais la figure de Janus tant usée (abusée ?) par L'Art Scottien revêt le manteau de l'ingratitude. Taillée dans sa chair, "l'enveloppe Napoléonienne" peut difficilement répondre aux accusations de légèreté technique et par ricochet de narration flottante. Prévu en streaming dans une version de plus de quatre heures, il s'agit d'encadrer aujourd'hui cette version tronquée de 2h38 et de constater son absence de potentiel comme si l'effort de Sir Ridley avait été étranglé par un gougnafier cupide. De cet écrémage, seul subsiste le pouvoir de l'image dévitalisée par cet enchaînement de séquences accolées grossièrement comme un manuel élémentaire de CM2. La beauté du cadre mis à mal par l'ecorchage du montage condamne sans appel le projet. Mais par quel bout de pelloche doit-on prendre ce curieux objet séduisant fonctionnant comme un repoussoir filmique. Lorsque la campagne d'Egypte chevauche d'autres événements cruciaux de la vie de L'empereur dans une unité de temps réduite, c'est toute la force de l'entreprise qui prend l'eau à l'image des soldats de la bataille d'Austerlitz.

Mais l'oeuvre en sursis lutte pour sa survie artistique. Scott s'emploie à cadrer ses intérieurs sans emphase avec une sélection de l'espace et un choix colorimétrique proche des tableaux de Jacques -Louis David. L'absence de machinerie ostentatoire pour authentifier l'art de la peinture fige ainsi l'instant. C'est la composition du plan qui dicte la scène et non plus le mouvement du travelling ou du panoramique. Le réalisateur a foi en son Cinéma pour immobiliser autant ses acteurs dans des espaces réduits seulement limiter par les barres du scope.

De cette mise en image expurgée de sophistication, le réalisateur de Alien lâche comme il se doit les chevaux lors des séquences de bataille. Et c'est cette volonté d'appartenir au monde du Septième Art, de lui fournir un spectacle dans une salle qu'il reste ce peintre hors normes des civilisations passées. Scott n'est ni "commissaire politique" ni "commissaire historien" mais un passeur de l'ère du grand classique Hollywoodien déterminé à jouir de la mythologie des icônes que de l'exactitude de leur histoire. C'est peut-être ça le Cinéma...

Star-Lord09
6
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le 8 janv. 2024

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