Angle mort
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le 26 nov. 2023
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C'était écrit qu'il devait y retourner. Ridley Scott avait déjà réalisé selon lui le plus beau plan de sa carrière dans sa première épopée Napoléonienne, Les Duellistes (également son premier long-métrage). Dès 1977, Scott posait les grands motifs qui tapisseront sa carrière quatre décennies après : figures narcissiques, pêché d'orgueil, pulsion de mort et ce fascinant engrenage de la violence. Napoléon ne bouclera pas la carrière du metteur en scène (la suite de Gladiator arrive et il planche déjà sur le film d'après) mais il avait tout d'une complétude artistique. De toute façon, il est encore difficile de situer l'œuvre en tant que telle puisque nous savons que la version proposée en salles n'est qu'une préforme d'un objet autrement plus imposant destinée à la plateforme Apple TV+. Et franchement, ça se voit. Beaucoup.
Difficile de considérer ce Napoléon comme autre chose qu'un brouillon. Entre deux saillies à destination des historiens échaudés par ce qu'ils ont vu, Scott confirmait en promo qu'il s'agissait avant tout d'un récit autour de la relation entre le Général/Premier Consul/Empereur et sa 1ère femme Joséphine de Beauharnais. Ce qui n'a rien d'évident tant le film accumule les ellipses pour retracer les grandes étapes dans la vie de Bonaparte. Double conséquence : en bondissant continuellement d'une période à une autre, on ne creuse jamais. Le personnage de Joséphine manque de chair, l'intrigue manque de substance et même Napoléon parait fade. Il a été reporté que que Joaquin Phoenix avait été pris de panique quelques semaines avant le tournage, ne sachant pas comment interpréter l'Empereur. À l'écran, le comédien ne semble effectivement pas à sa place dans le rôle, à l'image d'un film qui ne trouve pas le ton entre épopée et satire. Quoiqu'on pense du personnage et il divise à juste titre, il y a pas mal d'angles possibles pour le traiter. En 160 minutes, Scott n'en fait pas autre chose qu'un culbuteur enfantin qui étend l'Empire français pour dépasser ses frustrations. C'est tout de même un peu court. Si encore le film assumait pleinement une démarche sarcastique, mais ce n'est pas le cas.
La version salles présente comme seul avantage de contenir les morceaux les plus spectaculaires, plus vendeurs. Certains sont forts (Austerlitz, évidemment). Le talent formaliste de Ridley Scott traverse les 2h40, et on ne peut pas enlever au film d'être dynamique. Mais Scott a déjà fait mieux, et la version longue n'y ajoutera probablement rien. Le sujet est ailleurs, on le devine. Le problème c'est qu'on ne discerne rien de plus qu'une forme vague, un montage rustaud, sans grande logique. Seule la bande originale inspirée de Martin Phipps arrive à tenir le bon bout. Kingdom of Heaven a dû attendre la director's cut plus longue de 40 minutes pour être réhabilité. Napoléon connaîtra t-il le même sort ? Avec plus d'une heure en rab', c'est probable. Le contexte et machinations politiques devraient y gagner, le portrait de l'Empereur se contraster, gageons que Joséphine deviendra essentielle. Et avec un peu de chance, cette version longue aura trouvé une direction claire. Je reste cependant inquiet au sujet de Joaquin Phoenix dont la prestation confuse participe au malaise devant cette vision (très) limitée du personnage. Tout est sûrement déjà là, mais aujourd'hui on a fait que survoler.
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Créée
le 11 janv. 2024
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