Angle mort
Il en est des personnages historiques comme des pièces de théâtre patrimoniales : à chaque fois qu’un metteur en scène s’y attaque, il se doit de livrer sa lecture, et prend soin, avec plus ou moins...
le 26 nov. 2023
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Non, je ne vais pas parler des dizaines d'erreurs historiques et politiques du film car "monsieur Scott a réalisé une fiction et non un documentaire", alors je vais m'abstenir même si tout le monde a envie de lui dire, "pourquoi fais-tu le biopic d'une personne si c'est pour réinventer sa vie ?". Mais quand même, on peut le dire, c'est du grand n'importe quoi.
Alors apparemment Ridley a le mérite de choisir le parti du prisme de la relation du Corse avec Joséphine, la femme de sa vie, celle qui l'a rendu plus fort dans les moments les plus faibles. Certes, mais non. Quand on fait un tel choix, on va jusqu'au bout et on ne se contente pas de deux scènes de cul fatiguées, sans inventivité, mais surtout extrêmement furtives. Scott aurait pu traiter le sujet plus finement, d'abord en choisissant le bon interprète du personnage principal : eh oui, désolé mais Joaquin Phoenix, 49 ans, paraît gras et fatigué pour jouer un personnage clinquant de 35 ans le jour de son sacre, de plus Vanessa Kirby est beaucoup plus jeune (13 ans d'écart, c'est grave là) alors que Joséphine est censée être plus vieille que lui, de 6 ans. L'alchimie entre les acteurs est faible, mais surtout rien ne ressort à l'écran, on ne croit pas à l'histoire d'amour entre un rustre presque violeur et sa femme, qu'il force à faire l'amour sur ses désirs impulsifs, on ne peut pas imaginer une seule seconde que Bonaparte ait pu séduire Joséphine de cette manière : il est grossier, violent, colérique, agressif, jaloux, possessif, imbu de lui-même, a la mentalité d'un ado pré-pubère qui voit la femme comme un objet, etc. Mais par-dessus tout, comment Joséphine a-t-elle pu tomber amoureuse à en mourir d'un personnage pareil ? En tout cas, c'est ce que laissent penser les lettres enflammées qu'elle lui écrit, mais Vanessa Kirby n'est absolument pas convaincante et même troublante quant à ses sentiments : que pense-t-elle réellement ? On se le demande. Le film veut nous faire croire à une histoire d'amour déchaînée et complexe, mais là, on ne "capte rien", on ne comprend rien.
Justement, c'est l'inexorable problème du film : pour une personne qui ne connaît absolument pas le personnage de l'ex-empereur des Français, il est impossible d'en apprendre plus sur Napoléon que ses faits d'armes (quoique deux trois mêmes plans en boucle pour toutes les batailles ça ne suffit pas, mais on en reparlera plus tard), ou de sentiments amoureux. On ne comprend rien à son histoire, d'où il vient, comment a-t-il réellement orchestré le 18 Brumaire, d'où lui vient son génie stratégique, comment se débrouille-t-il pour sortir d'Elbe en un claquement de doigt... Tout va trop vite, trop simplement, tout est trop ou pas assez. Les plans s'enchaînent, les dates et les grades aussi, nous n'avons d'ailleurs aucune information sur son évolution dans la hiérarchie militaire, (sauf une scène) il prend l’Égypte en un rien de temps, ce qu'on nous montre en un plan, les personnages secondaires n'ont absolument aucune consistance, annihilés par le duo Phoenix-Kirby, ce qui nous fait confondre Pierre, Paul et Jacques, enfin bref, c'est bien trop brouillon. En fait, le film vit pour les scènes de bataille "spectaculaires", ornées de faux sang à gogo, sans prendre le temps, sans guider le spectateur, non, le spectateur subit le scénario sans rythme, d'une compilation de sexe, violences et batailles, qui n'envoûtent personne, et c'est ça le pire. Je m'attendais au moins à des scènes grandiloquentes et belles, inventives, mais certainement pas : non, Monsieur Scott, il ne suffit pas de montrer la scène de bataille de Waterloo avec les mêmes plans pendant 5 min, (plan moyen, plan général, plan moyen... oh ! Un gros plan sur Napoléon joué par Joaquin Phoenix qui tire la même tronche pendant 2h30 et demi !) pour envoûter le spectateur. Quoique, la bataille d'Austerlitz m'a un peu remonté le moral, car pour une fois, la stratégie a bien été illustrée et expliquée contrairement aux autres batailles : on ne sait pas qui gagne, qui perd, on l'apprend après. Mais comme le dit Napoléon, "ils ne connaissent pas l'art de la guerre", alors explique-nous Ridley, en quoi lui, il le connaît ? Autre chose insupportable, en 2023, à l'apogée des techniques du cinéma, il ose encore foutre des filtres bleus-gris quand il fait froid, et jaunâtre quand il fait chaud... Cela aggresse les yeux, nous fatigue et n'apporte rien à l'histoire. Un réalisateur, avec ce casting, le fleuron de l'équipe technique, ce budget, il n'y a que ça qui ressort ? Tout bleu, tout jaune ? T'as que ça à nous montrer Ridley ? Je ne suis pas sûr.
Plus que tout, on a un peu (beaucoup) de mal à croire comment le protagoniste principal, habillé d'une personnalité telle, comme je l'ai mentionné avant, a pu galvaniser l'Europe entière ? Comment a-t-il pu passer de la quasi-fusillade par son ancien régiment, à l'emmener partout en Europe pour combattre la Prusse, la Russie et l'Angleterre ? Ou alors, qu'on nous explique encore une fois. Parce que comme ça, ce tableau que l'on nous dresse, n'a rien de charismatique, de fascinant. Bref, même le personnage principal est sans consistance, sans profondeur et l'on peine à cerner la fascination que les gens pouvaient avoir pour lui. On en veut plus, Joaquin, on voulait des discours enflammés, ou des réflexions stratégiques uniques ! Or, on a pas grand-chose mis à part des pouvoirs magiques de dissuasion, à croire que Napoléon utilisait le sortilège d'Impero de manière globale pour envoûter les foules et le gouvernement !
On notera que la prise de position historique de la fin, où Scott rappelle que Napoléon a fait beaucoup de morts dans ses batailles et que donc il est méchant, est complètement stupide puisque je le rappelle, en général, pour faire la guerre, il faut être deux. Oui, certes Napoléon était sûrement l'impérialisme et l'autoritarisme à son paroxysme, mais, l'histoire ne range personne dans les cases, méchants et gentils, bon ou mauvais.
En résumé, le nouveau film de Ridley Scott est le portrait d'un film à bout de souffle, qui se cherche un rythme sans le trouver, le portrait d'un "petit" film qui ne fera certainement pas d'ombre au "Napoléon" d'Abel Gance, tant le résultat, et j'en suis triste, est insignifiant. J'ai comme cette impression de n'avoir rien tiré du film, de n'avoir rien absorbé, je suis resté en dehors du film toute la séance, sans rentrer dans la vie du personnage français le plus aimé et le plus détesté. Ce qui est dommage car le projet était de traiter de sa vie intérieure, de travailler le personnage mais c'est, je le crains, un cuisant échec.
Créée
le 25 nov. 2023
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