Voilà un film qui se montre très intéressant, tant dans sa construction narrative que dans son panache visuel, un film qui donne une vraie crédibilité à Matt Damon en tant qu'acteur. Certes, cela paraît être l'un de ces films banals sur l'arnaque, mais il s'avère que ce sujet est relégué au second rang.

Le film est en fait le récit d'un homme qui se découvre à travers la fascination pour un autre, dans le décor de l'Italie des années cinquante, une région d'ivresse, de fête et de soleil. Cet homme, c'est Thomas Ripley, interprété par Matt Damon. Celui-ci est grandiose dans le jeu qu'il propose, donnant au spectateur un personnage à deux faces : Tom Ripley est d'abord peu confiant, gauche, mal coiffé, niais pendant la première partie du film, puis se transforme en l'un de ces jeunes garçons qu'il croise tout le temps, qui dépensent l'argent de leurs parents (comme Dickie), c'est-à-dire, imposant, agile, fier, devenant presque beau, à l'image d'une atmosphère italienne envoûtante (le soleil, le bateau au crépuscule, les bars, les hommes en chemises fines en lin, les Italiennes ravissantes, les sites d'une beauté renversante...). Cette transformation est métaphoriquement liée au personnage de Marge. Dans une première partie, elle est accueillante, souriante, bienveillante avec Tom, elle est une amie pour lui. Ensuite, elle devient de plus en plus hostile et méfiante, lui reprochant les atrocités qu'il a commises. Un personnage à double face en cache un autre.

La transformation de Tom est par ailleurs entièrement due au fait de son admiration pour Dickie Greenleaf. Il est complètement enchanté par ce garçon, au train de vie incessant de rebondissements, de folie, baignant dans le soleil et l'Italie. Cependant, Dickie est quelqu'un d'extrêmement changeant, dans ses humeurs, comportements, envies et choix. Il est parfois extrêmement désagréable avec Tom, grâce à l'interprétation de Jude Law, je dois le dire, assez agaçante de pertinence. On aime le détester. Dickie exerce donc une emprise psychologique sur Tom, conscient de son pouvoir de séduction sur lui. Tom désire tout de Dickie, ses costumes, ses montres, sa maison, son bateau, son allure, ses cheveux, il désire sa vie : il veut être lui. Sur cet aspect, le film est magistral. En effet, le parallèle entre les deux personnages saute aux yeux, de manière assez juste, de par la reproduction humaine et sociale que s'inflige Tom, et de par la complémentarité qu'affichent les personnages et leurs acteurs respectifs ; quand Dickie se comporte mal, Tom se comporte mal, et quand Dickie se comporte bien, Tom se comporte bien. C'est ce qui convoque la justesse narrative de la relation entre les deux protagonistes. Minghella ne se contente pas de donner aux spectateurs des personnages dépendants : les deux ne font presque qu'un, en ce sens que, dans la structure du récit, l'un n'existe pas sans l'autre. C'est donc avec cette base que le réalisateur aborde l'amour dans la relation des deux garçons. Tom tombe peu à peu amoureux de Dickie, il l'aime quel qu'il soit, inconditionnellement - il lui déclare plusieurs fois sa flamme - et il fait tout pour que lui l'aime en retour. La scène du bain est l'image phare du film, Dickie est dans le bain, nu, il se dévoile à Tom, Tom le regarde, en dehors. Cette scène est l'allégorie du film, Tom est à l'extérieur, Dickie à l'intérieur, mais un seul observe, c'est Tom. Le film narre donc une relation amoureuse qui n'aboutit pas, qui se cherche constamment, Dickie n'assumant clairement pas son penchant homosexuel, la relation patoge et finit par trébucher. Tom tue finalement Dickie au terme d'une dispute sur un bateau, puis enlace son corps, désespéré par son acte, avant de s'en débarrasser. Jusqu'à cette scène, le film est efficace, bien construit, subtil dans sa structure sémio-narrative et guide le spectateur au point de rupture. Nous faisons ici face à une fresque du désarroi, causé par le manque de courage de Tom face à son homosexualité. Le film raconte entièrement la redécouverte de son propre corps par un homme, qui n'assume plus qu'il s'est découvert être.

Pour ne pas faire face à la réalité, Tom s'enlise dans ses mensonges et dupe tout le monde, cherchant à tout prix à cacher ses meurtres par d'autres meurtres (Freddy, Dickie), tout comme le spectateur s'enfonce, avec le personnage, dans la deuxième partie à la forme d'un thriller, en tant que seul confident des actes de Tom. Cette deuxième partie est moins enrichissante cinématographiquement, mais elle sert une première partie amplement réussie. Finalement, Tom gagne, car l'arnaque a marché et il n'est pas arrêté, mais il est contraint à un dernier meurtre dans la dernière scène, qui l'anéantit, et signale au spectateur que Tom a peut-être entourloupé tout le monde, il a peut-être pris la place de Dickie Greenleaf, et tout son argent, il est peut-être devenu ce qu'il voulait être, mais il s'est perdu lui-même, et ne peut plus se regarder. Il a gagné quelqu'un d'autre que lui. Là où Hemingway parle de victoire dans la défaite, le film parle de défaite dans la victoire. Globalement, le film livre une œuvre maîtrisée, à l'odeur de poésie, un tout qui s'enveloppe d'une atmosphère bien à lui, ce qui lui permet de se démarquer. Ce long-métrage s'offre une rupture avec le genre du thriller, en filmant l'humain se piégeant lui-même, pour les autres.

Racetik
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Créée

le 21 févr. 2024

Modifiée

le 21 févr. 2024

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