Napoléon
5.1
Napoléon

Film de Ridley Scott (2023)

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"S'il provoque tant de réactions il doit bien y avoir de bonnes raison." Joachim Murat

Pour une fois qu'un film est fait sur le plus grand personnage historique (celui sur lequel on a écrit le plus au monde devant Churchill) de notre Histoire, on ne devrait pas bouder cette proposition (cela n'arrive pas souvent). Après un bicentenaire de 2021 plutôt moyen (des expositions, émissions et commémorations dont la trop sobre de notre président), il faut se réjouir de voir grâce à ce film le nom de Napoléon partout dans le monde (figure extrêmement populaire même chez ses adversaires Roastbeefs et Ruscofs).


Au début de la production aux alentours de 2020, le film est un projet de la 20th Century Studios. Ce dernier l'abandonne finalement et c'est Apple Studios qui en récupère les droits. Ce qui intéresse Scott dans ce projet c'est l'aspect self-made man du personnage : "Il est sorti de nulle part pour gouverner tout le monde !" Initialement nommé Kitbag ce projet devait être uniquement un film consacré à la période Révolution et Consulat. Pour ce faire Scott a choisi un angle particulier : la relation Napoléon et Joséphine. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Scott s'attaque à ce contexte historique. En effet, sa première réalisation Les Duellistes (1977) prenait place sous la carrière politique de Napoléon.

Joaquin Phoenix, entre temps auréolé pour sa performance dans Joker, retrouve Scott 23 ans après Gladiator, pour jouer un nouvel empereur. Après un désistement de Jodie Comer (Le Dernier Duel, 2021) c'est Vanessa Kirby qui rejoint la distribution pour jouer Joséphine de Beauharnais. Peu de temps après Tahar Rahim rejoint le casting dans le rôle de Paul Barras.

Le projet Kitbag a entre-temps bien évolué. Phoenix a poussé Scott a donner davantage de place au personnage de Napoléon quitte à embrasser le reste la vie du personnage.

S'en suit en 2022 un tournage ironiquement en Angleterre. Scott retrouve aussi la ville de Malte où il avait posé ses caméra pour Gladiator. Les scènes de la campagne d’Égypte sont tourné en Égypte et au Maroc. En tant que fan de Napoléon je scrutais toutes les images de tournage qui ont fuité. J'essayais de deviner quel épisode de la vie du personnage étaient mis en image. Cependant j'enrageais que ce film ne sorte que la plateforme Appletv+. Dieu merci, en avril 2023 il est annoncé que le film sortira finalement en salle. Le 10 juillet la bande annonce sort et les erreurs historiques sont pointés par les spécialistes.

J'ai déjà expliqué mon avis sur la question dans ma critique de Gladiator. Monsieur Scott n'a de compte à rendre à personne. C'est un auteur qui a sa vision. Il réalise une fresque pharaonique sur le personnage de Napoléon. C'est son droit. N'oublions pas que "C'est du cinéma" et pas un documentaire historique. Braveheart est très librement adapté de l'Histoire (critiques faites aussi à l'époque) et ça n'en fait pas un mauvais film de cinéma. Il faut donc garder à l'esprit que choix d'adaptations de Scott servent un récit particulier, ici plutôt une vision anglo-saxonne du personnage (pas forcément la légende noire), comme en témoigne ses interventions.


Tout motivé, je fonçais voir le film le jour de la sortie. J'étais le premier à acheter mon billet et à entrer dans la salle. Qu'en ais-je pensé ?


Eh bien j'ai beaucoup aimé cette proposition de Scott pour plusieurs raisons. Ce qui m'a marqué dès le premier visionnage ce sont les scènes de batailles extrêmement spectaculaire. Venant de la part du réalisateur de Gladiator puis de Kingdom of Heaven, je n'en attendais pas moins. On ne voit pas cela tout les jours en salle de cinéma (rien que pour ça, ça vaut le coup). Ensuite j'ai adoré la bande son. J'ai aussi beaucoup aimé la performance des acteurs. La direction artistique du film est vraiment magnifique. Seul bémol, le film est trop court. J'aurais aimé en voir plus.


Scènes de bataille : Scott du haut de ses 85 ans met l'amende absolument tous les réalisateur d’Hollywood avec ses scènes de batailles. Celles-ci sont impressionnantes de part l'importante quantité de figurant. On sent aussi le poids des cavaleries à l'écran. Les effets spéciaux discrets complètent magnifiquement bien ses scènes d'une intensité redoutable. Toulon, Austerlitz et Waterloo sont les batailles retenus pour figurer dans ce long-métrage. On voit aussi vite fait Les Pyramides et La Moskova. Selon moi, la plus réussie cinématographiquement est Austerlitz (meilleur bataille de tous les temps). Elle s'appuie sur un épisode réel, celui des Autrichiens fuyant sur le lac gelé de Satschan. Scott en a fait le grand moment pour son film. Les soldats et les chevaux pris au piègent sur l'étang s'effondrant sur la glace brisé par les boulets de canon, ça en jette (surtout avec la musique). En revanche Napoléon n'aurait jamais tiré sur les pyramides (ici c'était juste pour montrer qu'il débarque et que c'est lui le maître maintenant) car il respectait l’expédition scientifique. Il n'a pas non plus participé physiquement à ces batailles en chevauchant comme c'est montré dans le film. Enfin les formations militaires du film ne sont pas fidèles. Les soldats qui chargent en mêlée reflètent l'influence des séries guerrières (HBO, Netflix) avec les barbares qui se foncent dessus. Les tranchées pendant la bataille de Waterloo, ne sont pas très historiques non plus.


Durée du film : C'est mission impossible de raconter Bonaparte et Napoléon en seulement 2h37 de film. Durant mes visionnages je trouvais que les scènes s’enchainaient trop rapidement (typiquement le divorce et Tilsit, la retraite de Russie suivie brutalement de la première abdication). J'avais aussi immédiatement remarqué qu'il manquait des scènes que l'on voyait pourtant dans la bande annonce (la campagne d'Italie, l'attentat de la rue Saint-Nicaise, etc). Je pense en vérité que Scott a été contraint par les studios à couper son film pour la version cinéma. Fatalement la cohérence de l'ensemble en pâtit. On a les grands événements de l'Histoire, certes, mais tout s'enchaîne trop vite.


La direction artistique : La photographie est belle. On retrouve les filtres bleus et jaunes habituels de Scott. Ils donnent tantôt un côté crépusculaire tantôt un côté chaleureux, parfaitement ancré dans les tons du film. Rien à redire sur les costumes qui sont justes dingues.

Ce travail de l'image sert aussi le travail pictural du réalisateur (récurrent dès sa première réalisation). Ce film ne déroge pas à la règle. En effet Scott reproduit dans ses plans certains tableaux légendaires rapportant les épisodes de la vie de l'empereur dont :

- Bonaparte devant le sphinx

- Napoléon Bonaparte devant les pyramides, contemplant la momie d'un roi

- Le Sacre de Napoléon (The Tableau, symbole et cristallisation de la propagande impériale)

- 28th Regiment at Quatre Bras (les carrés anglais à Waterloo)


Musique : La bande son du film est composite. Celle-ci reprend des airs préexistants, un peu comme celles des films de Stanley Kubrick. Le compositeur choisi par Scott est Martin Phipps (compositeur de The Crown pour Netflix). Ce dernier reprend certaines de ses anciennes compositions s'intégrant bien dans la fresque de Scott notamment celles écrite pour Guerre et paix (mini-série HBO de 2016) comme les morceaux Charge, Napoleon et The General réutilisés ici pour scènes de Campagne de Russie (ils sont d’une puissance, l'un d'entre eux rappelant par ailleurs l'Ouverture 1812 de Tchaïkovski). Phipps est allé chercher un clavecin ayant réellement appartenu à Napoléon pour y jouer le thème principal. Ce dernier dans sa mélodie reprend explicitement celui du Parrain (pas étonnant quand on entend Scott dire en interview "j'adore Bonaparte, il est comme un gangster"). L'autre référence mélodique se retrouve dans le morceau Make the Rain Stop (reprenant le Trio pour piano et cordes n°2 de Schubert, entendu dans Barry Lyndon de Kubrick lui-même qui projetait de réaliser son Napoléon et qui a inspiré Scott pour son première réalisation). On retrouve le morceau Dawn de Dario Marianelli (extrait de Orgueil et Préjugés, 2005). Globalement la partition du compositeur oscille entre tambours martiaux, trompettes, cordes rugueuses pour la soif de bataille, et timbres plus romantiques (une harpe, un accordéon, une flûte, un piano) pour l'amour de Joséphine. Le bande son est composée aussi d’un répertoire de musiques baroques et classiques (Vivaldi, Purcell, Haydn, Rameau). La singularité des BO c’est d’inclure des chants corses et grégoriens (ex : le Kyrie d’Austerlitz) donnant une tonalité mélancolique au film. Enfin on a des chants traditionnels comme Le ça ira (Edith Piaf), La Carmagnole (Jacques Gauthier) et La Guillotine permanente. J'ai essayé de reconstituer la bande son avec les musiques censées figurées dans le film (certaines pistes de la BO commercialisé de Phipps n'apparaissant nul part dans le film) : https://www.youtube.com/watch?v=4RUTbn2CuoE&list=PLKqbpEkt5yB6M-DkM0V8ZznG6V35st8K_&index=1


Interprétations des acteurs : Joaquin joue un Napoléon vulgaire et renfrogné comme l’explique l’historien Arthur Chevalier (je partage son avis général sur le film) dans son intervention sur RTL. Cela n’était l’intégralité de la personnalité de Napoléon, mais cela est un de ses nombreux traits de caractère. Pour son film Scott a fait le choix de disproportionner ce tempérament. La performance de Phoenix, sans valoir un Oscar, est très sensible et touchante. Son personnage est même drôle et inspire la sympathie. D’une certaine façon le scénario l’humanise. Le côté clan familial gangster auquel Scott fait parfois allusion en interview ne se retrouve pas dans cette interprétation (sauf quand Phoenix nous fait des gueules à la De Niro, ou quand il se couronne lui-même). Je trouve à titre personnel que ce que Phoenix réussit le mieux, dans son interprétation c'est la posture de Napoléon en stratège militaire (encore une fois comme sur les tableaux). J’adore le personnage historique de Joséphine de Beauharnais (je connais toutes les anecdotes sur sa vie). Elle fait l’objet de l’une des seules biographies que j’ai lu de ma vie (celle d’André Castelot de 1964). Vanessa Kirby en Joséphine est déjà très belle. Son interprétation est tout comme celle de Phoenix émouvante, ce qui ai bien accentué par le scénario illustrant la souffrance de ce couple au destin exceptionnel. Elle reste finalement plutôt fidèle à ce que les historiens et les sources nous en disent. Je ne vais pas revenir sur le choix discutable des acteurs (Phoenix trop vieux, Kirby trop jeune) puisque que cela a probablement déjà été soulevé dans d’autres critiques. Je ne vais pas parler des autres comédiens car ils sont éclipsés par le duo principal. Ils jouent suffisamment bien.


Le scénario : Comme évoqué plus haut dans la section Durée du film et les interprétations des personnages, des choix ont été fait. Ces derniers vont dans le sens de l’approche de Scott, à savoir, l’histoire de Napoléon par le prisme de sa relation avec Joséphine. Forcément cette histoire est orientée (ex : ce n’est plus le désordre politique de la France qui motive Bonaparte à quitter l’Égypte mais la tromperie de sa femme). Avec le recul je me dis que ce n’est pas plus mal puisque cela va dans le sens de l’angle d’attaque de ce scénario. Certains choix vont effectivement dans le sens dramatique de Scott (ex : Napoléon rentre de l’île d’Elbe pour visiter Joséphine, cette dernière dans les faits est pourtant morte l’année précédente et il le savait bien). Pour autant je trouve que cela n’excuse pourtant pas les erreurs flagrantes injustifiées pour les dates de naissance de nos personnages principaux (le reste des dates sont bonnes). Je trouve que Phoenix a été un peu égoïste de refuser de tourner une scène de la mort de son personnage. À la place Scott nous refait la scène de fin du Parrain, 3e partie en moins bien. C’est aussi dommage de finir sur un panneau énumérant les victimes des guerres napoléoniennes quand pendant tout le film on ne sombrait pas dans ce discours de pleurnicheur repentant (comme si on en était pas déjà débordé au quotidien).


Pour conclure sur mon avis général je vais reprendre une phrase de M. Chevalier. Le Napoléon de Scott est « une des propositions artistiques et esthétique les plus fortes sur Napoléon » depuis un bon moment. Pour ma part je suis content de voir un film comme celui de Scott. Plutôt que de livrer un film consensuel qui nous montrerait tout ce qui a été déjà mis en image part les autres adaptations précédentes (comme l’aspect politique, on a fait le tour du sujet), le réalisateur britannique a le mérite d’opter pour une approche singulière. Le Napoléon amoureux et chef de guerre de Scott est plutôt bien rendu à l’image. Si ce film est imparfait en raison de ses choix … tant mieux. Cela permet d’échanger et de discuter sur ses qualités et ses défauts. Ridley Scott n'a jamais prétendu faire œuvre d'histoire (ex : dans son film Marie-Louise est brune et pas blonde). C’est un artiste qui fait du cinéma. Dans ce support-là, il faut faire des choix. N’est-ce pas déjà ce que font toutes les adaptations de classiques littéraires. En cette fin d’année 2023 le réalisateur octogénaire montre qu’il en a encore sous le capot avec ce film ambitieux. Il livre une fresque dramatique aux séquences spectaculaire mettant à l'amende les blockbusters interchangeables aux scènes dégoulinantes d'effets spéciaux numériques. Dommage que le film de Ridley Scott soit passé sur la guillotine du montage, cela lui fait grandement défaut. J’espère que la version longue de 4h30 corrige cela.

Joachim Murat : « Le Napoléon de Ridley Scott est bourré de défauts, mais allez le voir ! »


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