Troisième volet de la trilogie Qatsi : la guerre comme mode de vie. Naqoyqatsi succède à l'instabilité primitive de Koyaanisqatsi ainsi qu'au rayonnement progressif de Powaqqatsi pour une terminaison chaotique, destructrice et principalement pessimiste fondée sur l'Image.
Accompagné du majestueux compositeur Philip Glass ( qui signe là un véritable chef d'oeuvre de la musique classique moderne ) et produit par Steven Soderbergh le méconnu Godfrey Reggio réalise Naqoyqatsi sur le mode du défilement : défilement d'images en tous genres ( décors abstraits, numéros, silhouettes, paysages naturels ou culturels, sigles, microcosmes, macrocosmes, impressions ou illusions optiques, groupes, rassemblements, publicités....) présentées dans leurs textures contextuelles ( retouches par ordinateur, images d'archives, nombreux plans évoquant une démo numérique, images télévisuelles, surimpressions, prises de vues tournées en caméra thermique ). Pour mieux exprimer habilement la perte des repères du monde contemporain ( valeurs factices, publicités séduisantes à outrance, invasion de chiffres et de logos ) Godfrey Reggio n'hésite pas à brouiller les frontières séparant les codes de cultures et de civilisations différentes... jusqu'à l'Amalgame absolu : enchaînement de symboles sans rapports entre eux ( le Christ, la croix gammée puis Macdonald, le Yin et le Yang suivi d'un sigle multinational...) témoignant d'un Homme victime de sa propre torpeur spirituelle, incapable de saisir une Image sans chercher à combler un vide ( consommer, zapper, détruire, re-déconstruire encore et encore...).
Composé d'une dizaine de pièces musicales ayant leur thématique propre ( une architecture sinistre régnant sur un désert humain, la suprématie numérologique, la perfection comme hygiène vitale, les nouvelles technologies empiétant sur les forces terrestres, l'homme comme une entité infinitésimale...) Naqoyqatsi est très certainement l'aboutissement symphonique de la trilogie Qatsi. Philip Glass parvient magistralement à faire oublier le tumulte et la fébrilité régnant sur Koyaanis et les choeurs solaires, fraternels de Powaq en laissant place à une atmosphère lugubre, sombre et moins lyrique que véritablement élégiaque : il poursuit dans la veine cyclique et à tonalité minimale, répétitive des deux opus précédents ( formée principalement de cordes obsédantes ) tout en complexifiant la narration de sa pièce : Naqoyqatsi s'affirme alors comme un véritable concert cinématographique, le défilement des images s'incorporant harmonieusement à l'addition des instruments ( les percussions synthétiques du segment "Primacy of Number" en sont un bel exemple...).
Au sortir du visionnage de ce tourbillon d'images difficilement explicable, brouillé, quasiment dégénéré l'homme apparaît comme l'éventuel responsable de sa mort imminente, perdu dans un flot incessant de codes et d'images sans textes clairement attribuables. De sa voix gutturale et d'outre-tombe Naqoyqatsi résonne tel un chant funèbre, extrêmement pessimiste qui propose toutefois à chaque spectateur une expérience de cinéma unique, expérience suffisamment intelligente pour faire confiance à notre lucidité et notre discernement. Une merveille à redécouvrir.