Je vais me faire l'avocat du diable : oui Naqoyqatsi est un bon film. J'ai bien conscience que cette opinion ne fait pas l'unanimité, il n'y a qu'à voir la chute d'un point de la note moyenne entre Powaqqatsi et celui-ci. J'espère qu'on ne va pas m'enlever, me tabasser et m'élever comme une fille à Singapour pour ce que je viens de dire.
Dernier de la trilogie des Qatsi de Godfrey Reggio, sorti en 2002, il boucle la série de mise en image des prophéties indiennes hopi. Le fond est toujours aussi naïf : le premier nous donnait une leçon sur les relations entre l'homme et sa Terre, le dernier se focalise sur le regard que porte l'homme sur l'homme. Bien que la conclusion soit très facile et très discutable (« bouh nous ne vivons que pour nous battre bouh l'humain est foncièrement mauvais »), le film a le mérite d'exposer son propos en n'étant pas trop exclusif : certes les interactions entre hommes peuvent passer par les armes, mais Naqoyqatsi n'oublie les mots, les gestes, les représentations artistiques que l'on se fait de nous même, les manipulations de notre corps et de nos gènes, etc. à mes humbles yeux, c'est un film juste vis à vis de son fond : il montre sa thèse sans en faire trop, en sachant garder une esthétique intéressante.
Ce que beaucoup reprochent à Naqoyqatsi n'est pas son fond (à vrai dire souvent balayé et c'est bien dommage) mais sa forme : il rompt avec la tradition des deux premiers Qatsi en utilisant en surabondance des retouches d'images qui, avouons le, ont bien vieillies. Ce ne sont plus des « vraies images » selon beaucoup, ergo ce ne serait pas un bon film. Je ne suis pas entièrement d'accord avec cet argument : Naqoyqatsi contient autant de « vraies images » que Koyaanisqatsi, c'est à dire aucune et une infinité à la fois. Le principe même d'une image est qu'elle est une représentation, non pas la réalité. Son propre corps peut être considéré comme une réalité mais son corps dans un miroir est déjà une image. C'est le principe même de « La trahison des images » de Magritte : « Ceci n'est pas une pipe », évidemment que ce n'est pas une pipe, c'est une IMAGE d'une pipe. Une représentation cherchant à coller à un point de vue précis, une rendition en deux dimensions d'un seul point de vue qui n'a rien à voir avec l'objet véritable de la pipe, son matériau, sa forme, sa profondeur.
Au risque de froisser certains, aucun film ne représente la « réalité observable », ils sont tous des images, des reflets grossiers. Koyaanisqatsi est un assemblage de prises de vue accélérées, ralenties, déformées : est-ce ça une « vraie image » ? Naqoyqatsi est aussi vrai que Koyaanisqatsi.
Là où je suis d'accord c'est qu'effectivement les effets utilisés dans Naqoyqatsi oscillent entre l'intéressant et le médiocre, le maladroit. Autant la séquence d'introduction ou même la scène montrant des corps au travers d'instruments médicaux sont magnifiques, autant la scène d'arrivée de stars en images de synthèse mal modélisées est totalement ridicule. Voila le problème de Naqyoqatsi : il est très inégal, parfois très beau, parfois complètement moche. L'enthousiasme qu'il fait grandir dans une scène est annihilé lors de la séquence suivante.
Le montage est heureusement soigné, toujours impeccable. Quant à la musique, Philip Glass revient à ses airs entêtants de Koyaanisqatsi, s'éloigne de ce qu'il avait inauguré avec Powaqqatsi et ce n'est pas un mal. Une bande-son excellente qui sert le film.
En conclusion, Naqoyqatsi n'est pas raté. Je ne me suis pas ennuyé, j'ai beaucoup apprécié certaines parties. Toutefois, trop inégal, il n'a pas réussi à susciter en moi (ni en beaucoup d'autres d'après ce que j'ai vu) l'enthousiasme de Koyaanisqatsi : ses effets ont vieilli, sa maladresse est flagrante,... Un relativement bon film en somme, sans véritable plus, à voir surtout si l'on a vu les deux premiers auparavant.
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