Pour lire en musique.
En ce moment, c'est la pleine saison pollinique, et mon rhume des foins carabiné m'oblige à rester en intérieur, m'exposant le moins possible aux graminées et autres saletés qui me filent les yeux d'une grenouille et le nez d'un clown. Alors peut-être que tu t'en fous, mais moi je veux commencer par là. Ça n'a rien à voir avec le film, si tu veux plonger directement au cœur du sujet, va un peu plus bas.
C'est bon ?
Bon, je continue.
Faut dire que ce rhume des foins, ça m'incommode. J'aime plutôt le monde extérieur, surtout au printemps. Les arbres en fleur, les azalées qui éclairent de mille couleurs les jardins, les orangers du Mexique et leur senteur entêtante, les bulbes des jacinthes et jonquilles qui percent la terre... J'aime bien les plantes quoi !
Pour compenser la frustration, passagère, je décide de m'installer devant un film où pullulent spores, pollens et fleurs en tous genres, pour l'ironie de la chose et parce que je me sens bien devant un film d'animation. C'est aussi une bonne occasion pour me goinfrer de brioches généreusement tartinées de beurre saupoudré de chocolat en poudre, le tout arrosé par des litres de boisson chaude. Bref, un vrai caprice de gamin...
La poursuite de mes pérégrinations Ghibliesque m'amène donc à revoir le long métrage que je considère comme le chef-d’œuvre de (ou d', je ne sais jamais quoi mettre) Hayao Miyazaki, Nausicaä de la vallée du vent, ode post-apocalyptique à la nature, huitième merveille du monde cinématographique nippon. Rien que ça !
Je vais quand même bien finir par aborder le sujet qui nous intéresse ici. La force de ce film réside avant tout dans les personnages et dans le charisme qu'ils dégagent. Et cela, Miyazaki te le fait comprendre dès les premières minutes. Force de la mise en scène, ça, un constat qu'on pouvait déjà faire dans son premier long-métrage où les enjeux étaient très clairement exposés dès les premières minutes ! Ici tout peut être ramené à la longue scène introductive où l'on suit Yupa, puis Nausicäa qui vagabonde dans la forêt toxique, plane portée par les vents, court prestement à travers la dense végétation. Sans que beaucoup de mots soient nécessaires, le caractère de ces deux protagonistes nous est révélé, par leurs actions durant l'attaque de l'Ômu, cet insecte géant à la carapace plus dure que l'acier. On comprend l'essence du combat de la valeureuse princesse, son attachement pour les êtres vivants, le courage de l'aventureux chevalier.
S'ensuit l'arrivée de Yupa dans la Vallée dans la vallée du vent, et le cadre bucolique souligne immédiatement la nature de cette paisible civilisation. La bonhomie des habitants, leur attachement à la princesse. D'un coup d’œil on reconnaît en la figure de Mito le fidèle lieutenant tandis que l'on sourit devant les imposantes moustaches des villageois, leurs visages rieurs et bon enfant, les pitreries des anciens.
Lorsque l'action se précise et que débarquent les Tolmèques, on s'indigne de la violence guerrière de la princesse Kushana, de son caractère borné, vas-t'en-guerre, tandis que les sarcasmes de Kurotawa en font un lieutenant tout à fait original, être calme et ambitieux, opportuniste et moqueur.
Mais celle qui emporte tout, c'est Nausicäa, point central du récit, elle transcende l’œuvre et le développement de ce personnage est la plus grande réussite de Miyazaki. Dotée d'une empathie hors-norme, d'un amour de son prochain profond et d'une douceur de caractère exceptionnel, elle est aussi guerrière, inégalable dans les airs. Sa capacité à aimer la vie sous toutes ses formes, dans ses moindres détails, en fait un personnage hors-norme. Elle sera la première à prendre conscience de la nature bénéfique de la forêt toxique, elle protège les insectes que les hommes attaquent. Compatissante et magnanime envers ses ennemis, elle est une héroïne en tout point supérieur à ses semblables, qui dépasse et sublime l'humanité
Son personnage revêt ainsi une nature messianique. Identifiée comme "l'être vêtu de bleu", le sauveur de l'humanité, sa capacité d'empathie quasi-illimitée et son don de communication avec les animaux en font le guide d'une humanité incapable de comprendre sa place dans le monde. La scène finale vient appuyer le caractère exceptionnel de la princesse.
Forte, sensible, capable de prendre en main sa destinée, décidée et intelligente. Plus tout à fait une enfant, presque une femme, elle transcende l’œuvre et ne cesse d'étonner le spectateur peu habitué à un tel genre de personnage.
Évoquant la cruelle destinée d'un monde condamné par la bêtise humaine et l'espoir permit par une nature bienfaitrice, Miyazaki nous entraîne dans son univers unique, d'une beauté profonde et touchante. Les premières minutes dans la forêt toxique sont un voyage onirique aux couleurs chatoyantes. La multitude des plantes aux formes étonnantes, la myriade d'insectes, témoins de la vitalité nouvelle de la terre sur les ruines de l'ancien empire humain, rien n'est laissé au hasard. On ne peut s'empêcher d'être admiratif devant une telle ambiance, fruit d'un travail minutieux qui fait de chaque plan un voyage, de chaque celluloïd une œuvre d'art où le moindre détail est figuré. Quel contraste entre cette forêt grouillante de vie et le désert balayé par les vents secs où les humains peuvent respirer, désert si vide, terre à l'agonie. Comme si l'homme ne s'épanouissait qu'au détriment de ce qui l'entoure.
Le maître étonne, ravit les yeux par la puissance de sa mise en scène tantôt tranquille et contemplative et soudainement si dynamique, relevant chaque phase de poursuite, soulignant chaque moment de tension. On s'émerveille de la précision de ses traits, le tout soutenu par une animation un brin dépassée, mais qui reste si fluide, si belle, et ce malgré les contraintes budgétaires, malgré le travail parfois imprécis qui se voit sur certains plans où le design de Nausicäa est quelque peu changeant. Miyazaki, par manque de temps, a parfois dû déléguer, chose qu'il regrettera et évitera à tout prix par la suite dans sa quête insatiable de la perfection.
Néanmoins, ces défauts sont si rares, si peu visibles, qu'on serait bien en peine d'en tenir rigueur au film. Le cœur est renversé sous la pluie de lumières des spores, si belle et pourtant mortelle. L'esprit voyage et les bras s'étendent tandis qu'on se prend à voler côte à côte avec Nausicäa, le vent nous fouette le visage et l'on passe à travers les nuages épais qui moutonnent dans le ciel, qui explosent en tempête violente. On frissonne dans les profondeurs fraîches de la forêt où l'eau pure s'écoule goutte à goutte, filtrée par les sables qui s'enfoncent en laissant pénétrer par de larges trouées la blanche lumière de la lune. On frémit de colère à l'unisson des Ômus, leurs yeux rougeoyant dans la nuit tandis qu'ils s'avancent par milliers pour marcher sur les pauvres créatures vaniteuses que sont les humains. On est porté par la musique (fruit du travail de Joe Hisaishi qui collaborera énormément avec Miyazaki par la suite), véritable vecteur d'émotions. Que ce soit ces notes de synthé, ces bizarreries électroniques, le requiem saisissant qui se fait entendre lorsque Nausicäa communie avec les insectes géants . Et quel visuel, quel visuel lorsque les appendices des insectes, jaune soleil, s'unissent et palpitent autour de la princesse.
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I'm not a storyteller, I'm a man who draws pictures. However,
I do believe in the power of story.
Hayao Miyazaki lors d'une interview en 2001 à Paris.
En effet, Miyazaki est un dessinateur, et un dessinateur de talent. Mais il est aussi un conteur fabuleux. Ici, il reprend le canevas de son manga, publié entre 1982 et 1992. L'histoire de celui-ci, dense, complexe, n'est pas entièrement reprise et certains passages sont passé sous silence. L’œuvre se concentre sur l'invasion Tolmèque de la Vallée du Vent.
La portée de cette œuvre vient de son message, résolument écologique, intelligemment touchant. Fustigeant l'industrialisation, le militarisme, il évoque un passé sombre, fait de guerres, de conflits pour un lopin de terre. Puis une terrible guerre mondiale, la guerre des sept jours de feu durant laquelle des armes d'une puissance inédite, les colosses, ont anéanti la terre et pollué son sol. D'une rare justesse lorsqu'il s'agit de défendre des convictions écologique, Miyazaki prône le respect de la vie, de la nature face aux défauts humains, au stupide entêtement des nations guerrières. Le message est simple, mais si brillamment délivré, avec une telle puissance qu'on fini par être emporté par le souffle qui traverse cette œuvre, balloté comme un petit grain de pollen.
Réalisé en dix mois avec un budget ridicule d'un million de dollars, Nausicäa de la vallée du vent se propulse immédiatement en tête du box office. A titre de comparaison, le studio Disney dépensera 40 millions pour animer La Petite Sirène en 1989. Il surclasse, et durablement, toutes les productions concurrentes passées et futures par la modernité qui s'en dégage, par la force de son héroïne qui met une claque monumentale à toutes les princesses Disney d'hier et d'aujourd'hui, par la profondeur qui se dégage de l’œuvre et la maturité de sa thématique.
Pour moi, sans conteste, son meilleur long-métrage. Mais vous n'êtes pas obligé de me croire ;).
Citations :
(1) : http://www.midnighteye.com/interviews/hayao-miyazaki/