New World
7.4
New World

Film de Park Hoon-Jung (2013)

Le cinéma coréen est d’un dynamisme déconcertant depuis plusieurs années, concurrençant aisément les films américains sur son propre sol. Le mérite revient à une bande de jeunes réalisateurs, ancrés dans le monde moderne et soucieux du détail mais aussi à une catégorie de films plus désuets, plus basés sur les traditions comme ce que fait Im Kwon-taek (une centaine de films à son actif !) ou Kim Ki-duk. La première catégorie est celle qui nous parvient le plus facilement, surtout depuis la démocratisation d’Internet et plus tard, l’arrivée des fansubs ; c’est aussi celle qui possède les longs-métrages les plus marquants, les plus forts et les plus osées. Il n’y a donc rien de surnaturel quand on voit la part importante que récupère le cinéma sud-coréen dans les divers festivals spécialisés sur le globe. C’est pour cela que l’on voit arriver, en 2013, débarquer un film sans grande prétention, assez costaud mais sans plus. Deuxième film de son réalisateur après un essai ni trop raté ni trop réussi, New World nous parle d’un flic infiltré depuis plus de dix ans dans la plus grande organisation criminelle de Séoul. Explosif. Angoissant. Surprenant. C’est le podium des adjectifs le plus appropriés pour ce nouveau long-métrage de gangster.


New World débute directement dans un contexte difficile pour l’organisation du crime organisé séoulien ; le grand patron vient de se faire descendre et le chef de section de la police (incarné par Choi Min-sik que l’on retrouve dans Old Boy ou encore I saw the devil) décide de profiter de l’occasion pour démanteler la mafia pièce par pièce. Pour cela, il a plusieurs taupes bien qu’on se concentre sur Ja-sung, celui qui a le grade mafieux le plus élevé. Le meilleur ami de Ja-sung, appelé Jeong, qui est aussi son supérieur (que l’on a pu remarquer dans A Bittersweet Life) demeure l’un des favoris pour devenir le nouveau boss du bazar. La flicaille pense alors qu’il va falloir se servir de Ja-sung pour prendre la tête de la mafia et ainsi la détruire définitivement de l’intérieur. À cela s’ajoute évidemment des luttes intestines entre les différentes familles pour savoir qui sera le chef de toutes et enfin la femme de Ja-sung, enceinte, qui est aussi un indic chargé de surveiller son mari pour qu’il ne bascule pas du côté obscur.


Le scénario reste simple d’apparence et semble se rapprocher d’Infernal Affairs, sorti chez nos amis hong-kongais, sauf que cette fois-ci, le produit en croix flic/infiltré n’est pas présent. L’intrigue suit essentiellement le chef de section dans ses magouilles et ses doutes ainsi que Ja-sung, partagé entre sa vie de flic inexistante et sa vie de mafieux omniprésente, puis son meilleur ami Jeong, qui veut le pouvoir tout en évitant de se faire liquider par les bandes rivales. L’ambition, l’envie du pouvoir, la corruption, l’argent et le respect sont donc au cœur du récit comme des thématiques fortes et propres à l’être humain.


Car New World produit quelque chose que les autres films coréens passent à la trappe ; quelque chose qui ne les intéresse peut-être pas, après tout. Le film garde en lui une prétention cachée ; celui de dépeindre le vice des Hommes (car le casting est, pour des raisons évidentes, constitués à 95% de mâles dominants cisgenres) comme l’aurait fait un antique western des années 60. L’histoire réfléchit à mesure qu’elle se débande ; elle se demande ce qui serait le plus logique, le plus vrai donc le plus viscéral selon elle. Les longs plans sur les héros en proie aux doutes ou aux faux suspens juste présents pour nous déstabiliser et nous mettre sur des fausses routes, accentue cet effet, cette magie cinématographique. On a alors l’impression que le film est une entité à part et nous entraîne vers un fin, loin d’être celle communément espéré ou suspecté mais finalement tout ce qu’il y a de plus authentique.


L’esthétique du film, d’ailleurs, ne reprend pas la noirceur des thrillers coréens les plus connus. Cette teinte sombre, ténébreuse qui se marie merveilleusement bien avec l’écoulement du sang. Au contraire, le cadre reste lumineux avec un contraste assez appuyé sauf pour certaines scènes gores peu nombreuses. Les personnages sont hauts en couleur, surtout Jeong, grand gamin avec un âme de sanguinaire mais aussi les autres prétendants au trône, tous arrogants et impassibles, emportant avec eux un charme détonnant. Seul Ja-sung et le chef de section restent tourmentés du début à la fin, pris d’assaut par la tournure que prennent les événements.


Ja-sung devait arrêter sa mission d’infiltration après le début du film symbolisé par la mort du big boss mais on lui intime de continuer, supposément jusqu’à ce que toute l’organisation s’effondre. Étant donné que y’a moyen, la flicaille n’en démord pas et le pousse ainsi dans ses retranchements. Le héros se retourne alors, regarde ses compagnons d’arme mafieux et se demande vers qui sa légitimité va : au chef de section ou à la famille qu’il sert ? Finalement, la réponse sera toute autre et c’est ce qui fait le force de la fin. La symbolique qu’elle représente, celle du pouvoir, est infiniment plus frappante que n’importe quel twist final improbable ou cousu de fil blanc qu’un bon nombre de thrillers d’aujourd’hui tentent de nous faire passer par voie anal.


La musique, également, va crescendo jusqu’à l’aboutissement du récit. Ce n’est qu’une montée en puissance et les mélodies choisies pour accompagner le héros dévoilent avec véhémence cette courbe de progression inébranlable. Des notes de piano se mêlent à des rythmes très lents de violons durant les premières scènes pour finalement laisser la place à une tumulte d’instruments, flopée de cuivres et de vents à mesure que l’action grimpe petit à petit. Il faut saluer, d’ailleurs, le travail du compositeur alias Cho Yeong-wook qui, même s’il n’offre pas des thèmes mémorables comme ceux d’A Bittersweet Life, propose tout de même une musique parfaitement imbriqué dans le scénario, suivant son parcours tel une ombre.


Pour un travail aussi satisfaisant, il semble nécessaire de s’attarder sur la performance de Park Hoon-jeong, scénariste mais aussi réalisateur du film. Ayant déjà prouvé son talent en signant le scénario d’I saw the devil, le bonhomme revient en créant lui-même son propre film dans un registre tout à fait différent. I saw the devil de Kim Jee-won (auteur d’A Bittersweet Life, notamment) était d’une noirceur culminante où se cumulait des litres de sang d’un rouge sombre et des horreurs du même genre. Un tueur en série, visiblement psychopathe, s’amuse à tuer des donzelles sans défense pour ensuite les manger avec ses potes mais, manque de chatte, il s’en prend à Lee Byung-hun (incarnant le héros d’A Bittersweet Life, décidément, tout se recoupe) qui va jouer le jeu du chat et de la souris pour le faire souffrir au maximum. Le film est d’ailleurs très orienté horreur et se vend, sans surprise, comme un thriller horrifique.


I saw the devil qui comporte un Choi Min-sik dans sa distribution, Choi Min-sik qui, lui, joue le chef de section dans New World ; attention, ça va vite, il faut suivre. Pour ce dernier, les scènes de tortures sont toujours là, avec une esthétique approchant le talent de Kim Jee-won, mais elles subsistent dans le monde des affaires et de la corruption. Park Hoon-jeong, en choisissant de réaliser New World, prend le risque de changer ce qui l’avait rendu célèbre, à l’étranger surtout, pour nous emmener dans le milieu mafieux coréen. Il faut avouer que si la violence est toujours de mise, comme c’est souvent le cas dans les productions coréennes qui nous parviennent, l’incursion dans cette nouvelle thématique se fait sans encombre.


Park Hoon-jeong semble avoir appris de ses erreurs passées avec son premier film The Showdown, intéressant mais vite oubliable, pour nous offrir une petite pépite typique du pays du Matin calme. En revanche, là où New World sort du lot, c’est dans son traitement des personnages mais surtout du héros, Ja-sung. Il n’y a rien pour faire plaisir au spectateur, pour lui offrir du spectacle, pour lui envoyer une putain de claque esthétique dans la tronche ; non, tout est juste affreusement cohérent et logique. Là où l’on pense qu’il y a deux issues, deux rôles à jouer, deux factions à choisir, New World nous explique qu’il y en a une troisième, bien plus séduisante. Non, pour ça, New World réussit le brio de nous surprendre et de le faire avec une certaine maîtrise du cinéma. Que demande le peuple ?


Le peuple n’aura peut-être pas un film imposant comme I saw the devil ou Old Boy, où l’action et la réflexion se mêle adroitement comme A Bittersweet Life ou No Mercy For The Rude et il passera pour un simple thriller policier pour certains mais pour sa vision des choses, du potentiel humain, de sa nature propre, des retranchements inévitables, New World frappe très fort pour peu qu’on comprenne son idée.


https://raton-lecteur.fr/critique-cine-new-world

Djokaire
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le 18 août 2017

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Djokaire

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