News From Home est un voyage à travers New York : ses boulevards, ses gratte-ciels, ses souterrains, ses rues désertes, sa circulation, ses magasins, ses fast-food, sa grandeur, le jour, la nuit… montrés sous travellings, plans fixes, ou panoramiques.
Chantal Akerman raconte deux quotidiens. Le sien, en filmant différents lieux de New York qui ont accompagné son séjour quelques années avant le tournage de son film. Et celui de sa famille par l’intermédiaire de lettres reçues de sa maman de Belgique, qu’elle nous fait parfois partager en off. Sa mère y raconte son quotidien triste, des banalités, son envie de la revoir, sa fille lui manque beaucoup. Elle lui demande de façon récurrente, même agaçante, de ne pas les oublier, de penser à leur écrire plus souvent. C’est un double récit, bien que sans doute par pudeur, la voix monocorde de la cinéaste – une voix de lecture – citant les mots de sa mère, se perd dans les plans de la ville, dévorée par le brouhaha des voitures ou celui du métro. A moins que ce ne soit pour reproduire un détachement, celui avec lequel elle lisait et s’appropriait ces lettres. Car on entend parfois dans cette parole, que l’on déchiffre ou non, selon notre humeur, de l’inquiétude et du désarroi quant au peu de nouvelles rapportées de cette vie alternative, outre-atlantique. Absente ou succincte, la réponse se fait attendre. Certaines lettres envoyées par la cinéaste (qu’elle ne lit jamais) provoquent un contentement relatif ou une déception de contenu.
C’est un exercice délicat de filmer le présent de ce que l’on a vécu par le passé. Chantal Akerman retrouve New York et laisse cette impression géniale de nous offrir des images qu’elle aurait prise durant son séjour, une impression d’absence de tournage, de saisies éparses sur le vif, ce qui n’est évidemment pas le cas. Au moment du départ (quitter Manhattan) que l’on peut interpréter par cette cassure formelle consistant en des mouvements de caméra forcés par les moyens de transport, pendant le dernier tiers du film, on a le sentiment d’un adieu au présent et non la reconstitution de cet adieu. Tout voir défiler. Images étirées comme autant d’impressions à jamais gravées. Pas étonnant que les plans soient beaucoup plus longs qu’auparavant. Il n’est question que de regard perdu dans l’espace et son immensité. Le cinéma permet cela : reconstruire un adieu et pouvoir le revivre ad aeternam.
Le dernier plan du film est l’un des plus beaux plans de cinéma de l’univers : Un bateau quitte Manhattan, et à mesure de ce déplacement, le plan dévoile ses gratte-ciels, d’abord immenses, sectionnés par le cadre, puis immenses plein cadre avant de devenir minuscules plus tard, lointains, perdus dans un brouillard épais. Il est précédé de quatre plans foncièrement similaires puisqu’ils évoquent déjà ce départ, me semble t-il. La fixité n’a pas disparu mais cette fois le paysage se dérobe. Ce sont de faux plans fixes ou de faux travellings. L’objectif adopte un regard. Une mélancolie. On a tous déjà vécu cette suspension du regard, comme ici derrière le pare-brise arrière d’un taxi, la vitre d’un métro. On retrouve d’ailleurs, durant cet adieu, un plan que nous avions déjà eu précédemment, l’intérieur du métro, en fin de compte le plus représentatif d’entre tous, l’adieu au balai des usagers, à l’homme. Car New York est la ville humaine par excellence, le berceau de la civilisation. Quoiqu’il en soit, cet ultime voyage de dix minutes, d’envoûtement pur, avec ce bruit incessant des vagues frappant la coque du bateau est un haut fait du cinéma Akermanien.