Nhung co gái chân dài (2004) – Long legged girls / 93 min
Réalisateur : Vu Ngọc Đãng
Acteurs principaux : Thanh Hang ; Xuan Lan ; Thu Anh ; Ngoc Duong Yen.
Mots-clefs : Vietnam ; Mannequinât ; Comédie Romantique.
Le pitch :
Une jeune fille au beau visage quitte sa campagne pour monter à Saïgon. Elle découvre à ses dépends le métier du mannequinât.
Premières impressions :
Ma rencontre avec Nhung co gái chân dài s’est produite par hasard un jour de printemps ensoleillé tandis que je jouais les guides touristiques pour une amie coréenne. Nous déambulions gaiement dans les rues de Montmartre quand je remarquais deux gros sacs en carton de marques de luxe posés à même le sol. Ces deux sacs étaient remplis de DVD et portaient un petit post-it invitant à se servir gratuitement. Ni une ni deux, je suivi immédiatement le conseil en m’adjugeant les sacs dans un égoïsme cinéphilique patenté. Dans la masse, peu de films asiatiques hélas mais étrangement beaucoup de DVD « édition spéciale César » portant la mention « réservé aux membres de l’académie des Arts et Techniques du Cinéma ». Je ne sais rien du bon samaritain qui mit ces DVD sur le trottoir, si ce n’est qu’il se prénommait Gérard à en juger par les petits mots laissés dans les boîtiers à son intention, mais il a le droit à ma reconnaissance éternelle.
Parmi la collection de Gérard que j’imagine producteur, critique de cinéma ou distributeur, se trouvait un film vietnamien dans une pochette bariolée avec un titre écrit en rose : Nhung co gái chân dài – Long Legged Girls pour son titre international. N’ayant vu qu’un seul film vietnamien jusqu’ici, the lady assassin, un bon gros navet d’action passant crème avec une mousse et des chamallows, je n’attendais pas grand-chose d’autre de Long Legged Girls qu’une comédie musicale rose bonbons. Ce n’est donc que plusieurs mois plus tard que j’insérais la galette dans mon lecteur, poussé par la curiosité, l’envie de légèreté et un week-end chiant comme un dimanche en famille chez Tata Christiane.
Long Legged girls est un film populaire pour jeunes gens, un des premiers films réalisés par un studio indépendant après l’ouverture du marché aux acteurs privés en 2003 et le premier du genre à gagner le grand prix du Vietnam Film Festival jusqu’ici trusté par les films contrôlés par l’état. Gros succès financier, il rapporte cinq fois son investissement et ouvre la voie aux futurs films d’été, pendant vietnamien de nos grosses sorties de Noël. Si le film est un tel succès c’est qu’il parle à une génération qui n’a pas vécu, ni n’a de souvenir de la guerre et qui n’en n’a cure, une jeunesse de plus en plus globalisée pour laquelle l’obscurité de la salle de cinéma permets l’évasion bien sûr, mais aussi les rencontres amoureuses et les explorations sexuelles, propos exclus de la maison familiale. Une jeunesse qui ne se retrouve pas dans les films patriotiques ou moralisateurs proposés par les studios « publics » et qui attendaient depuis longtemps que des films se concentrent sur leurs propres questionnements tels que l’amour, la célébrité ou la sexualité. C’est justement ce que propose Vu Ngọc Đãng à ses spectateurs à travers son héroïne.
Le film nous raconte l’histoire d’une jeune femme de la province qui monte à Saïgon. Une fille dont la vie est semblable à celle de beaucoup de spectatrices qui se sentent un peu à l’étroit dans l’éducation traditionnelle et puritaine vietnamienne. Heureusement pour l’héroïne, la grande ville regorge d’opportunités à saisir et un jeune photographe amoureux lui propose de faire des essais dans le mannequinât et de lui ouvrir la porte de son rêve d’adolescente : devenir une star de papier glacé. Premières photographies, premiers podiums, tout semble se dérouler à merveilles pour la (trop) belle jeune femme. Évidemment, cela lui attire vite quelques jalousies et rivalités de la part de ses concurrentes mais aussi l’intérêt de vieux lubriques qui ont le pouvoir de transformer la carrière. Dans sa quête de liberté et d’indépendance morale, la jeune femme rencontre inévitablement des épreuves liées à la dureté du milieu de la nuit (précarité, image de soi, rivalité…) dont elle se départira grâce à sa volonté de réussir et à sa capacité de résilience.
Pourtant, si la plongée dans le monde de la nuit apporte au scénario son quota d’épreuves et de drames déjà vus, elle permet surtout de mettre en exergue les choix forts de la part de l’héroïne qui empêche le film de tomber dans le misérabilisme ou le romantisme niais. C’est que derrière une façade tantôt de drame, tantôt de romance légère, Long legged girls est un film beaucoup moins manichéen et surtout beaucoup plus intéressant que ce que mon mauvais pitch vous laisse imaginer car il valorise plutôt la quête d’indépendance et la force de caractère de ses personnages, sans pour autant occulter les difficultés et les conséquences de leurs choix. Par conséquent, si le film montre des femmes en quête de liberté morale, il ne dédaigne pas pour autant les valeurs traditionnelles de labeur et de chasteté au travers de personnages boussoles, sans en faire non plus l’alpha et l’omega du bonheur. Lumière et ombre, amour et amitié, désir et valeurs traditionnelles, le film offre à ses spectateurs de quoi se rassasier de thèmes qui leurs sont proches.
Le film a un propos ambivalent concernant la sexualité. D’un côté, il montre la femme vietnamienne comme attirée par les paillettes et le milieu de la mode. Le fait d’être regardée, d’utiliser son corps pour ses propres fins est plébiscité par les jeunes personnages. D’ailleurs, il présente également une relation ambivalente entre l’héroïne et sa némésis qui est déjà une star, qui est à la fois l’objet de désir sur papier glacé mais aussi rivale professionnelle et amoureuse (doublé d’une véritable salope), comme si le réalisateur avait conscience du dilemme moral qu’il s’imposait en défendant à la fois la liberté de choix des femmes face à la tradition sans pour autant en faire nécessairement la clef du bonheur de celles-ci.
Le film objective clairement les corps, en utilisant la femme dans un rôle opposé à celui qu’elle occupait dans les films traditionnels d’état, c'est-à-dire comme une personne calme garante de la tradition, tout en rappelant que cette opposition systématique ne peut apporter que la déchéance. Il nous montre également une certaine ouverture à l’homosexualité tant masculine que féminine, osant la multiplication des scènes explicites dans leurs propos et dans les images entre les deux acteurs principaux. Si le film ne va pas jusqu’à nous montrer de couple homosexuels, les insinuations sont très fortes et sans jugement moral, une position résolument moderne.
Évidement, d’un point de vu formel le film n’est pas un chef d’œuvre. Le manque de moyens et la qualité de jeu ne permettent pas au film de se hisser à la hauteur des films internationaux, même s’il faut précise que la plupart des films ou des séries réalisées par Vu Ngọc Đãng ont gagné des prix au Vietnam et qu’il s’est imposé dans l’industrie du cinéma de son pays. Si cet argument n’est pas suffisant au spectateur européen lambda, il parlera aux curieux de la culture vietnamienne et aux sociologues en herbes de tous poils.
Pour conclure cette longue critique, Long legged girls est un film qui m’a étonné par la modernité des thèmes abordés entre sexualité, une certaine forme de féminisme et homosexualité. Si on ne peut pas proprement parler de film militant, il montre les femmes comme capables d’assumer leurs choix, aussi immoraux soient-ils, comme capables de se planter ou de réussir, et c’est déjà une immense avancée. Je recommande donc ce film et le tiens à disposition pour tous les curieux qui veulent se faire une idée sur ce film charnière du cinéma vietnamien. Pour tous ceux qui souhaiteraient en savoir plus, je vous invite à consulter le livre « Transnational Feminism in Film and Media » dirigé par Katarzyna Marciniak et plus spécifiquement l’article « Long-Legged Girls and the Transnational Circuits of Vietnamese Popular Culture » de Lan Duong PHD, professeure associée de Cinema & Media Studies à l’University of Southern California, spécialiste des questions de genre dans le cinéma vietnamien.