Audacieuse et pertinente intrication de deux genres : le film de guerre et le film fantastique. Mais le fantastique n'intervient pas, ici, comme un élément extérieur : il sourd de l'intérieur, suinte de la peur des soldats et parvient finalement à les neutraliser sans même que l'ennemi ait besoin, pour cela, de les tuer.
Le film maintient longtemps une hésitation propre au genre littéraire du fantastique et pouvant rappeler celle qui sous-tend Le Horla, de Maupassant : après que l'hypothèse concernant la ruse de l'ennemi a été écartée, la cause des disparitions mystérieuses est-elle de nature surnaturelle ou relève-t-elle d'une sorte de manifestation magique des pouvoirs du psychisme ?
Servi par un admirable quatuor de jeunes acteurs français - Jérémie Renier, Swann Arlaud, Kévin Azaïs (adopté par notre enthousiasme depuis Les Combattants) et Finnegan Oldfield -, Clément Cogitore utilise de façon très fine les nouveaux moyens technologiques permettant une vision nocturne, non pas pour chanter la gloire des avancées scientifiques mais, tout au contraire, pour rendre visibles les peurs les plus anciennes et les plus irrationnelles, en créant une image de réel métamorphosé et effectivement susceptible de provoquer l'effroi. Un même renversement affecte ces corps de soldats, rassurants de force et de vigueur patiemment travaillée, glissés dans des tenues de combattants professionnels, mais finalement plus terrifiés que des enfants, avec leurs cheveux blanchis de sable et de pierre pulvérulente ; images d'un vieillissement précoce ou d'une frayeur trop éprouvante, sur le modèle de ce qui advient au narrateur de l'impressionnante nouvelle d'Edgar Poe, "Une descente dans le Maelström". On pénètre ainsi dans le moins figurable : la peur du soldat, son éprouvé le plus intime, le moins avouable, le moins classiquement viril.
De cet usage dévoyé du progrès technologique à ce rapprochement des extrêmes, avec conversion de l'un en l'autre, Clèment Cogitore se révèle passé maître dans l'art de la subversion ; une subversion qui n'aboutit pas à la destruction mais se révèle bien au contraire fécondante et permettant d'enrichir la réflexion sur le réel.