J'vais t'en donner, du night call
Los Angeles, ville de lumière, de gens totalement défoncés et de mauvaises idées. La dernière en date, mais non la moindre, filmer les pauvres hères ensanglantés - que se soit suite à un accident ou à un pruneau droit dans la bedaine - pour tout vendre aux chaînes locales. Ha ben oui, on le sait depuis un moment, le sang, ça fait vendre. La violence à l'écran, c'est l'opium du peuple. Bon, rien de bien particulier, jusqu'à présent, on est d'accord. Seulement ici, ben ça va être du travail d'infiltration : inside la brave trogne de Lou Bloom, salopard notoire et plutôt doué de ses doigts quand il s'agit de braquer un objectif sur un bougre se vidant un peu trop de son hémoglobine. Parce qu'on se moque quand on les voit à la télé, ces braves "reportages" avec des macchabées, mais qui les filment ? Ben voilà, vous vous posiez la question, Night Call y répond sympathiquement. Et si vous ne vous posiez pas la question, voici malgré tout la réponse.
Lou Bloom, donc, campé par un Jake Gyllenhall sous acides, c'est le genre de gars nourri à la positive attitude, d'une façon que Laurie n'avait sans doute pas bien entrevu. En plus d'avoir un sourire de requin halluciné, Lou est ce qu'on appelle prêt à tout, mais vraiment à tout. Sans doute à la poursuite du rêve américain, il se rend bien compte que dans les rues de Los Angeles, pour faire son beurre, faut pas hésiter à remonter les manches. D'ailleurs, lui-même n'en a pas peur, c'est sa force. Il l'explique assez régulièrement, voire même devient littéralement volubile lorsqu'il est interrogé là-dessus : il sait où il va. Il a un plan de carrière. Ho, il n'est pas diplômé, mais il est futé. Et débrouillard. Et dénué d'à peu près tout scrupule, ce qui ne le rend que plus vivement dangereux. Le coyote résume aussi bien sa pensée personnelle que celle du film : il comprend bien l'humanité seulement il n'aime pas les êtres humains. Voilà toute la vérité : Lou n'est pas très humain. Il a bien des interactions avec l'espèce, certes oui, mais il ne se considère pas tout à fait comme parti-prenante de l'ensemble.
Night Call tente de capturer ça, l'essence de ce type totalement immoral, pour qui la fin justifie totalement les moyens. Totalement. Et si vous trouvez que filmer des accidentés de la route, c'est moyen, alors accrochez-vous, a priori - et sans vouloir vous en dire plus - c'est vraiment le plus soft de ce qu'est capable Lou. Quelque part, le personnage est fascinant - mais c'est évident. Le film tourne entièrement autour de lui et chaque personnage ne concourt qu'à révéler une facette supplémentaire de ce type, à provoquer un peu plus l'horreur - et du même coup, la fascination. Parce qu'il n'est pas que monstrueux, le Lou. Ce n'est pas un tueur, même si le sang ne le dégoûte pas. Ce n'est pas tout à fait un sociopathe, après tout, il avoue certaines attaches, voire même certaines envies envers le sexe opposé. Encore que ça ne fasse sans doute pas tout ! Mais bon sang, quel enfoiré, quand même. Et le film va le suivre tout du long et sans poser de jugement ou de question. Des faits, simplement montrer comment évolue le requin une fois qu'il a trouvé son environnement naturel. Parce qu'au-delà des apparences, rapidement, Lou se découvre non pas simplement un don pour filmer les images, mais un don pour les trouver, les débusquer voire les provoquer.
Pourtant, il y a ces instants où il paraît... si étrangement pathétique. J'ai beaucoup parlé du mal qu'il est capable de faire, de la façon dont l'ont va suivre cette créature, et le film se braque littéralement sur lui. A la façon dont lui-même profite, dévore même le mal qui infecte Los Angeles pour en faire de l'argent, le film lui-même tente d'accaparer cette figure fuyante pour en présenter le pire comme le plus... touchant ? Cette séquence où il salue tous les employés de la chaîne télé à laquelle il vend ses images, alors même qu'il fait complètement décalé dans son costard miteux aurait presque pu m'arracher une toute petite - et très fugace - larme. A ce titre, Jake Gyllenhaal est confondant de... fureur, de folie, et d'une motivation à toute épreuve, digne d'un serial killer en activité. A ses côtés, difficile d'exister bien longtemps : comme dit précédemment, les personnages apportent simplement des nuances différentes au personnage de Lou, ce qui provoque des apparitions fugaces, comme Rick, son "employé", qui l'accompagne sur les routes ou même Nina, formidable Rene Russo, qui partage avec Lou une grande appétence vorace pour le sang en HD. Voire même la policière, dernier mouvement de la démonstration par le réalisateur de la puissance d'un personnage comme Lou, qui se joue à la perfection des enquêteurs lancés à ses trousses. Non pas parce qu'il a une intelligence surhumaine, simplement parce qu'il a une compréhension intime du système qui l'a régurgité.
Je doute que le film ait réellement la volonté de dénoncer quoique se soit : les médias, on le sait depuis un moment, ont un goût prononcé pour les carnages, les crimes sordides et ainsi de suite. Je pense plutôt que le film essaie de présenter ce qui paraît être le prédateur ultime dans ce genre de milieu, la créature qui, à force d'adaptation et d'évolution, voit bientôt son règne venir dans un système privilégiant le self-made-man, quelqu'en soit le coût. Du coup, on pourra peut-être reprocher au métrage qu'à trop se focaliser sur Lou, il passe peut-être à côté des personnages secondaires et, pire, qu'il pourrait avoir quelques longueurs. Ouais, on pourrait, mais devant ce petit tour halluciné de Los Angeles, ce serait quand même être bien tatillon.