Le cinéma est souvent le reflet de notre société, transposant sur l’écran, ses bons comme ses mauvais côtés, choisissant de les traiter de différentes manières : comédie, drame ou thriller, entre autres. Mais depuis quelques années, elle s’inspire aussi des séries télévisées, devenues un vivier de création originale, grâce à une grande liberté d’expression sur les chaînes du câble, comme HBO, AMC ou FX. On a vu émerger de nombreux personnages : Tony Soprano, Dan Draper, Walter White, Vic MacKey ou Dexter Morgan, des hommes immoraux, pourtant ériger en héros.

C’est dans ce contexte et sous cette influence, que Dan Gilroy réalise et écrit « Night Call », un bijou d’humour noir, ou l’on retrouve Jake Gyllenhaal, en anti-héros, repoussant les limites de la morale. Sa performance est hallucinante, il s’est investi corps et âme, dans ce rôle, allant jusqu’à perdre 9 kilos. Mais pas seulement, il ne se contente pas de cette perte de poids, il modifie aussi sa façon de s’exprimer, l’adaptant à son personnage de Lou Bloom, sans oublier ce regard vide ou brille une lueur malsaine.

Jake Gyllenhaal est un des meilleurs acteurs actuels, il signe probablement la meilleure performance de sa carrière. Il repousse constamment les limites de son talent, depuis le film qui l’a relevé en 2001 : Donnie Darko. Depuis, il ne cesse de briller dans des rôles aussi divers : Jack Twist « le Secret de Brokeback Mountain », Anthony Swofford « Zodiac », l’inspecteur Loki « Prisoners » ou Adam Bell/Anthony St. Claire « Enemy« , sous la direction de réalisateurs exigeants Ang Lee, David Fincher et Denis Villeneuve.

Son parcours est presque un sans faute, on lui pardonnera son « Prince of Persia », une tentative ratée dans un film populaire peu ambitieux. Il s’est aussi investi dans la production de « Night Call », comme il avait déjà fait auparavant, dans l’excellent « End of Watch » de David Ayer. Une preuve de plus, de son exigence, de son envie d’être présent aussi bien devant la caméra, mais aussi dans le processus de création, il ne serait pas étonnant de le voir à la réalisation prochainement.

Dan Gilroy, qui signe ici, sa première réalisation, surprend en étant aussi à l’aise dans les courses poursuites, que dans les scènes intimistes. Alors que l’on pouvait craindre; après un générique de divers plans magnifique de Los Angeles de nuit; qu’il se contente seulement de l’esthétique. Mais en étant aussi le scénariste, il démontre sa maîtrise, en sachant ou il va, nous emmenant dans l’univers malsain de Lou Bloom, le tout sans concessions, que ce soit par le biais de l’image, ou des mots.

Il offre à sa femme Rene Russo, le rôle de Nina Romina, directrice d’une chaîne de télévision locale, d’un cynisme effarant, ne s’intéressant qu’à l’audimat et prête à tout les extrêmes, pour garder pour travail. Elle va faire de Lou Bloom, son pourvoyeur d’images chocs, de plus en plus sanguinolentes et sensationnelles, pour appâter le spectateur avide de sensations fortes. La relation entre Nina Romina et Lou Bloom est tordue, chacun se nourrissant de l’autre, poussaient par leurs ambitions personnelles, jusqu’à ce que la prédatrice froide et calculatrice, devienne la proie, prise au piège de sa propre perversité.

Lou Bloom est un produit de notre société actuelle. Même si on ne sait rien de lui (absence de vie sociale et familiale), on découvre au travers de son quotidien, un homme qui a fait son éducation par le biais d’internet. Un voyou de petite envergure, sans emploi, mais avec un plan de carrière, qui est son moteur. La découverte par hasard de ses journalistes de l’extrême, lui permet de trouver sa voie. Son manque d’empathie, sied à ce travail. Un sociopathe qui ne pouvait que trouver son bonheur, dans les rues chaudes et violentes de Los Angeles.

Il prend Rick (Riz Ahmed) sous son aile, profitant de la crise actuelle, pour lui offrir un poste de stagiaire. Il ne fait que recréer les schémas dans lesquels il a été confronté dans sa recherche d’emploi. Comme avec Nina Romina, il retourne la situation à son avantage, faisant preuve d’un instinct de survie, compensant son manque d’intelligence. Il débite ce qu’il a appris sur internet ou à la télévision, tel un robot, sans recul, ni réflexion, accentuant encore plus son manque d’humanité. Il met en scène sa vie et va en faire de même pour ses reportages, ou la déontologie est un mot qui n’a pas de sens pour lui, tout comme pour Nina Romina.

Night Fall est un film amoral, critique corrosive des médias et du journalisme sensationnel, donnant au public de plus en plus d’images chocs et morbides, continuant d’abaisser le niveau d’exigence du téléspectateur, abreuvant une société malade, nourri de télé-réalité, portant aux nues des personnalités sans talents, comme Kim Kardashian, Paris Hilton ou Nabilla Benattia.
Portrait sans concession d’un homme dénué de moral, digne descendant des Travis Bickle (Taxi Driver) et Patrick Bateman (American Psycho), eux-mêmes interprétés par des acteurs de talents, sachant adapter leurs physiques à leurs rôles, en l’occurrence Robert De Niro et Christian Bale. Lou Bloom va surement entrer au panthéon des personnages les plus malsains du cinéma, confirmant notre attirance envers le côté obscur de la société, dont il est le simple reflet de nos névroses et perversions.
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le 29 nov. 2014

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Laurent Doe

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