Los Angeles est une ville tentaculaire de seize millions d’habitants avec une superficie plus de dix fois supérieure à celle de Paris. La ville, abritant de nombreuses stars, regorge de paparazzi. Night Call ne s’intéresse pas à ces chasseurs de stars, mais à un autre type de chasseurs d’images, celles des faits divers. Un jeune paumé, Lou Bloom, décide de se lancer dans cette activité nocturne et comprend vite les rouages du système, à savoir que seul les images comptent, quoi qu’il faille faire pour les obtenir. Jake Gyllenhaal m’a impressionné dans ce personnage solitaire, au visage osseux, au regard inquiétant et au comportement cynique et immoral. Sa relation avec la directrice de l’information, Nina, interprétée par une Rene Russo convaincante, est certes malsaine et dérangeante, mais celle-ci n’en est pas moins originale et apporte au film une tension supplémentaire.
Night Call dénonce ce journalisme plus proche du voyeurisme que du travail de fond nécessaire à l’information. Dans l’argot journalistique, les faits divers sont appelés "chiens écrasés". Les mots parlent d’eux-mêmes sur l’importance de ce type d’information. Mais comment se fait-il qu'elle prend une place de plus en plus importante? Peu friand des journaux télévisés, je me rappelle avoir zappé il y a quelques mois et avoir eu un message rouge flashy me sautant au visage sur une des chaînes d’information en continue BFM ou iTélé. Pensant que la nature du message devait être importante, je m’arrête, le lis, et découvre avec effarement que cette "alerte info" annonçait que Nabila était en garde à vue après avoir donné un coup de couteau à son petit ami…
On peut légitimement se demander vers quoi tend le journalisme actuellement. Le journalisme d’investigation visant à faire éclater la vérité et à donner des coups de pieds dans la fourmilière existe-t-il toujours? Oui, heureusement! Mais ce journalisme est marginalisé, n’intéresse que peu de monde car nécessite de la part du téléspectateur une certaine réflexion, donc un effort, et tend au final à finir aux oubliettes en disparaissant du paysage journalistique. Les faits divers ont la côte car les émotions générées (la peur, la pitié, la haine…) priment sur l’analyse de l’information complexe.
J’ai eu l’impression que le film dénonçait aussi la relation employeur/employé. La vision du management de Lou Bloom provient de ses cours en ligne et du web et s’avère être extrêmement violente pour son assistant, Rick. Le management se résumant à un "marche ou crève", l’employé est montré comme une ressource utilisable, exploitable et surtout jetable et où la réussite de l’entrepreneur n’a pas de prix.
Night Call s'avère être une critique efficace et acerbe d'un pan de la société américaine. La réalisation et le scénario sont maîtrisés. Pour une première réalisation, Dan Gilroy s’en tire avec les honneurs et va, je l’espère, continuer dans cette voie.