Night Call... C'était pas le nom du tube de Kavinsky pour Drive - l'espace en plus ? Et comme Nightcrawler est le titre anglo-saxon d'origine, on devine assez aisément l'éhontée pirouette effectuée par les distributeurs français, mais passons...
Il reste donc assez difficile de ne pas comparer le film de Dan Gilroy à Drive, au moins du point de vue de l'atmosphère, alors pour le coup, je vais pas m'gêner... Ici donc, la nuit s'avère un peu plus sordide, mais également un peu moins extatique, la faute en partie à une bande originale - on y revient - moins convaincante, pour ne pas dire invisible. Ceci dit, on n'a pas vraiment de mal non plus à être absorbé par cette atmosphère pesante typiquement "L.A. by night".
Aussi, le personnage principal de Night Call occupe la place essentielle du film, au-delà même de celle du scénario. Jake Gyllenhaal prend le volant comme l'avait fait Ryan Gosling en son temps, et pour le coup, je trouve que l'on gagne au change... Il faut dire que Lou Bloom, s'il perd un peu le mystère laconique de son prédécesseur, gagne en folie et, paradoxalement, en cohérence, incarnant à lui seul le self-made man américain prêt à tout pour réussir, mais j'y reviendrai... Parce qu'il ne faudrait pas non plus oublier de dire à quel point Jake Gyllenhaal habite totalement son personnage, jusqu'à le transcender, de par ses yeux hallucinés comme de par son sourire carnassier.
Mais le scénario de Night Call n'a pas tant de choses que cela en commun avec celui de Drive : Lou a tout d'abord bien du mal à trouver du taf en raison de son passif chapardeur, mais c'est un gars très motivé, pas le genre de type à avoir des poils dans la main, comme oserait dire un ex-ministre de la droite française jadis mis en examen... Ce loup solitaire donc, ayant pour passions l'arrosage de sa plante verte et l'épluchage des pages internet, assiste par hasard à un accident de la route que filme un professionnel : il lui colle le train lourdement pour se renseigner auprès de lui et c'est le déclic. Il ne lui manque alors plus qu'à dégoter une caméra et un scanner de police pour entamer sa nouvelle carrière de rapace télévisuel.
Ses débuts sont difficiles, mais le gars en veut, et on commence à se rendre compte de l'étendue de ses capacités de persuasions, de négociations et d'adaptation, notamment à la manière dont il engage son copilote : un jeune type limite SDF. Au fond, Lou nous laisse peu à peu découvrir qu'il est une machine à apprendre, un génie ès wikipédia, un geek déshumanisé aliéné par le discours du management, où l'humain n'est qu'un moyen pour parvenir à ses fins, où l'humain n'est qu'un pion sur l'échiquier du monde du travail. Lou deviendra donc un très grand professionnel...
Des zombies de ce genre, les sociétés ultra-libérales en produisent des flopées, sauf que Lou en incarne l'apogée charognarde. Ultra-cynique, voyeur, beau-parleur, hypocrite, Lou semble assouvir ses pulsions morbides - et celles de bon nombre de ses contemporains - au travers de sa caméra sensationnaliste et, comme il ne cesse de le dire à son alter-égo féminin (Renée Russo), l'oeil exorbité : "Je suis fait pour ce job". Allant jusqu'à provoquer, jusqu'à mettre en scène le pire, pour leur plus grande jouissance à tous les deux... Lou est sociopathe. Mais Lou n'est plus seul.
Dans un style assez différent donc, Night Call m'a vraiment convaincu. Le film monte en puissance jusque dans une seconde partie captivante et pleine de suspense, sans le moindre temps mort, avec en point d'orgue un final complètement fou, mais aussi, vous l'avez bien compris, parce qu'il propose une réflexion certes pas très originale, mais bigrement bien illustrée sur la folie néo-libérale.
Pas de fioritures, c'est du sur-mesure.