Il est coutume de voir apparaître de temps à autres et ce depuis une petite dizaine d'années en sélection officielle des grands festivals de cinéma mondiaux au moins un polar coréen. On pensera davantage à une forme d'ouverture d'esprit plutôt qu'à une réelle reconnaissance artistique d'un auteur méconnu du grand public occidental, troquant sa toque de scénariste dans l'ombre de grands noms du cinéma coréen pour s'affranchir de la patte de son modèle et faire valoir son talent derrière la caméra. Les faits auront prouvé que s'affranchir du modèle n'est pas une mince affaire et il n'est pas rare de reconnaître en Park Hoon-Jung la brutalité et l'absence de finesse de Kim Jee-Woon dont il signa le scénario de I Saw The Devil, revenge movie en forme de peinture expressionniste de la surenchère.
Night in Paradise cumule en effet les poncifs du polar coréen à fortes gueules où la pose prime sur l'originalité. Dans sa longue et plutôt ennuyeuse mise en place, le film tente de jouer sur les platebandes d'un Scorsese sous nouilles et soju, sans omettre de retranscrire la rage et le désarroi de son protagoniste principal par une pluie torrentielle (une constante du cinéma coréen depuis 15 ans) ou un filtre bleu froid comme la mort qui vampirise le film et l'empêche d'atteindre une forme réellement personnelle. Le film trouve néanmoins un contrepoint narratif intéressant et original dans cette foire aux gimmicks avec le seul personnage féminin présent au beau milieu de cette guéguerre de clans rivaux menés par des chefs d'escadrille du cabotinage, Cha Seung-Won en tête, dont on ne sait jamais s'il force le trait ou s'il est simplement piètre acteur. Son personnage de boss sadique et coincé arrivera à provoquer quelques sourires dans son utilisation guignolesque assumée en fin de métrage. Mais tout de même, cette alchimie entre la comédie et la violence graphique semble couler dans les veines du cinéma coréen depuis trop longtemps, celui qui ne sait plus s'il doit rendre hommage à la BD ou à tout un pan du film coup de poing coréen : l'émeute dans la voiture de Tae-Goo convie aussi bien les Crazy 88s du Kill Bill vol.1 de Tarantino que le souvenir de la scène mythique du couloir d'Old Boy de Park Chan-Wook. On a compris l'ami.
Jeon Yeo-Bin, donc, orpheline tourmentée et pétrie de rage sourde, vraie révélation du film dans cet océan de poncifs dark qui hésite toujours un peu trop entre Kitano et Tarantino, la plupart du temps utilisée à bon escient et apportant juste ce qu'il faut de vie et d'humanisme au personnage de Tae-Gu, gueule fracassée toujours sur le fil du jeu juste. On reconnait par moment un peu de virtuosité et de rentre-dedans dans les scènes d'action ou dans la violence à l'écran comme seule véritable échappatoire à cette chasse à l'homme sur l'île de Jeju (qui n'existe que par ses beaux reliefs, sa brume matinale et son océan calme, dommage), mais globalement les enjeux n'apportent pas grand chose de neuf à l'écran. Après avoir escaladé l'échelle de la surenchère dans sa représentation du sadisme et de la violence à l'écran, Night in Paradise se réveillera dans un ultime bain de sang idéologiquement douteux, encore une fois grâce à Jeon Yeon-Bin qui, flingue en main, rappelle par instants fugaces le mutisme des Yakuzas interprétés par Takeshi Kitano dans les années 90. On a donc plutôt hâte de la revoir.