Grâce aux soins quasi obsessionnels du réalisateur à recréer des univers visuels très travaillés, très colorés et très fournis en détails, Nightmare Alley est un véritable plaisir visuel. Les décors des forains ou le New York riche d’avant-guerre sont magnifiquement retranscrits, et le travail de lumière dépasse largement le teal-and-orange passe-partout des blockbusters actuels. On se laisser bien volontiers captiver par ses couleurs et le déroulé millimétré de son intrigue. J'étais ainsi sous le charme à la sortie de la salle, mais j'ai vraiment l'impression de m'être fait piégée par un de ces tours de foire qui abusent de la candeur de leur spectateur.
La première partie démarre assez lentement et prend son temps pour mettre en scène le monde des forains avec ses contradictions morales, sa marginalité et son goût partagé par Del Toro pour les monstres. Carlisle — pauvre homme sans passé, accepté un peu trop rapidement dans la troupe à mon goût — file un coup de main et parvient de fil en aiguille à gravir les échelons, avant d’aller chercher gloire et argent de son côté. Dans la seconde partie où il officie comme illusionniste de cabaret, il cédera aux sirènes de la cupidité et jouera un jeu trop dangereux, avant un final à l’ironique glaçante.
Le rythme du film est impeccable et qu'on ne voit pas passer les 2h30, bien que le film soit un Rise and Fall des plus classiques qui annonce à des kilomètres ses retournements scénaristiques. Le choix de Bradley Cooper est plus que discutable tant il manque d’épaisseur et de charisme. Il est complètement écrasé par Cate Blanchett dont le personnage de femme fatale, que j’ai fortement apprécié, devient presque caricatural n’ayant pas de duelliste à son intensité.
Pour moi, Nightmare Alley a énormément de points forts, surtout sur le plan formel, et c’est un excellent divertissement — ce qui est quand même son enjeu premier. Je regrette qu’il ne possède qu’un unique niveau de lecture et manque de subtilité, et que le réalisateur ait quelque peu lissé les aspérités au profit de l’efficacité. Un beau film assurément, mais qui ne marquera pas son temps.