Nina Wu
6.3
Nina Wu

Film de Midi Z (2019)

Voilà un film que j'aurais aimé défendre et qui me laisse au final mi-figue, mi-raisin.
Qui partait brillamment pour inaugurer l'année 2020 avec un sujet fort décliné de l'affaire Weinstein sous le prisme de son actrice et « héroïne » féminine : Sous un patriarcat toujours aussi puissant et ses pratiques de rabaissement et d’humiliations sexuelles dorénavant mieux connues, jusqu'où une jeune femme peut-elle aller pour accepter un rôle au cinéma ? Que peut-elle accepter pour décrocher le métier de ses rêves et se fondre dans l'industrie de l'illusion ?


Midi Z (1), réalisateur taïwanais, co-écrit le film avec son actrice principale Wu Ke-Xi et l'on sent du coup non seulement un certain vécu intérieur mais aussi la volonté de décrire le milieu d'une manière froide, détachée, réaliste. Et pour cela, et c'est tout à son honneur, le réalisateur va se doter d'une mise en scène cadrée parfois au millimètre près, d'un travail brillant sur le son (littéralement étouffant et c'est voulu) et d'une narration tour à tour Resnaienne (2) voire Lynchienne sur l'entrelacement entre réalité, rêve et mise en abîme du cinéma (où la frontière entre réalité et rêve est déjà trouble).


Nos deux compères décrivent ainsi la froide chute d'une jeune femme déjà fortement émotive et angoissée dans un milieu qui va d'emblée la serrer dans son étau : de son agent qui la pousse gentiment sur le film (elle n'est pas obligé de le tourner étant donné qu'il y a une scène de sexe implicite en plein milieu, d'un autre côté il lui fait miroiter un peu trop le film avec l'évidence de suffisamment d'argent à la clé et d'une route pavée de succès qui s'offrirait à elle par la suite (3)) en passant par le réalisateur (froid et sadique et prêt à la sacrifier sur l'autel de l'Art) et un producteur bien salopard et véreux.


Vous me direz que la barque est déjà bien chargée à ce stade, surtout que dans son entourage proche, ça manque singulièrement de compassion (sa famille a déjà bien des problèmes à gérer dont des dettes pour le père et un accident cardiaque pour sa mère sans compter son ex copine qui ne répond jamais à aucun de ses messages sur répondeur) mais en soi curieusement, ça passe.


Et ça passe subjectivement, parce qu'à l'embriquement narratif, le réalisateur ajoute un petit côté thriller (si Nina ne le comprend pas tout de suite, le spectateur se doute que quelqu'un lui cherche des noises) en plus d'avoir retiré des cases du puzzle du film sur certains éléments que Nina a occulté de sa mémoire. C'est cette contextualisation progressive du traumatisme à l’œuvre qu'on replace lentement par indices tandis que l'héroïne perd pied qui permet de rester captif du film, de son étouffement dans la psyché de son héroïne et passionne intelligemment par les non-dits (qu'on imagine plus violent encore que ce qu'on perçoit déjà à l'écran).


Pourtant cet art de la suggestion et de la subtilité d'un réalisateur qui a l'intelligence de faire confiance à son spectateur s'effondre (et tout le film avec lui) dans ses 10 dernières minutes (4) qui se vautrent largement en mélangeant vérité et voyeurisme avec lourdeur et dolorisme (et ne le cachons pas une certaine bêtise). Dans sa tentative de démontrer ce qui s'est passé le jour des auditions, tout ce qui était suggéré hors-champ se barre en couille, achevant de démontrer une réalité et une humanité pourrie jusqu'à la moelle et très proche de l'actualité, trop proche pour en être passablement ridicule en soi.


Là où le film reposait encore fragilement sur son équilibre en aiguillonnant le spectateur tout en ne franchissant jamais le fil rouge, le cap est allègrement franchi au final, achevant ce qui aurait pu faire un grand film sur un truc misérabiliste, irritant et frustrant, laissant en soi un sacré gâchis.
Bon sang, sacrément dommage.


======


(1) Oui oui c'est un pseudonyme. Pourtant il n'y a pas de quoi s'inquiéter pour son véritable nom de naissance, Kyawk Dad-Yin qui, pour nous occidentaux n'a rien de ravalant. La réponse est probablement à chercher du côté de sa filmographie certes plus politique et engagée...


(2) Il faut bien créer un adjectif pour tous ces films où les réalisateurs ont été inspirés depuis des décennies par un Marienbad, un Muriel, un Hiroshima mon amour ou Un je t'aime, je t'aime, tous signés d'Alain Resnais. Si ça se trouve l'adjectif existe déjà.


(3) L'agent disparaît ensuite de tout le film, laissant un sous-fifre accompagner Nina, le nez souvent plongé sur les jeux de son téléphone portable. Une manière de gérer avec sa culpabilité en envoyant son artiste dans la gueule du loup ?


(4) Ce n'est qu'un avis personnel mais moi – et là je m'adresse à ceux qui ont vu le film et comprendront-- j'aurais probablement coupé pile au moment de la scène du téléphone portable pour enchaîner sur un fondu au noir avec juste les voix pour imaginer ce qui s'est passé ce jour là à l'audition. Et même si le procédé a fait ses preuves et n'est pas nouveau (le final de « Répétition d'Orchestre » de Fellini par exemple), ça aurait été incisif et glaçant, assurément.

Nio_Lynes
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le 12 janv. 2020

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