Avec sa démarche inquiétante, son teint livide et ses yeux noirs dénués de toute expression, le tueur à gages Chigurh ressemble à un fantôme. Hantant les plaines arides du Texas, il erre avec le seul but de tuer les pauvres bougres qui oseraient se mettre en travers de son chemin. Il est le démon de ces lieux ; un monstre qui n'inspire que la mort et la terreur auprès de ceux qui le rencontrent. Armé de son extincteur, il a décidé dernièrement de traquer un certain Llewelyn, un type qui a eu le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment.
De fait, alors qu'il chassait dans le désert, ce dernier découvrit, autour d'une nuée de cadavres, une mallette remplie de billets de banque. Comprenant qu'il s'agissait d'argent sale, il s'en empara tout de même dans l'espoir d'améliorer sa condition de vie. Cette action engendra alors toute une série de péripéties se déroulant le long de la frontière américano-mexicaine.
En parlant de frontière, il est bon de préciser que ce terme revêt une importance capitale dans le film. Plus qu'une simple séparation entre deux pays, The Frontier a aux Etats-Unis, comme le souligne Julie Assouly dans son ouvrage consacré aux Coen, un second sens qui remonte à l'époque de la conquête de l'Ouest et qui représente la limite symbolique entre le monde civilisé et la nature sauvage. Et dans No Country For Old Men, cette seconde signification est largement mise en avant. En effet, en dérobant l'argent, Llewelyn franchit une barrière, passant du monde civilisé à un territoire du Texas qui s'apparente à une jungle sauvage dans laquelle l'homme n'est plus qu'un animal traqué par ses congénères.
A partir de ce moment, Llewelyn se retrouve donc perdu dans un milieu hostile et oppressant. Le désert l'assoiffe et la faune locale, composée de chiens, ne cesse de l'attaquer. Mais surtout, il devient la cible de la représentation même de cette nature sauvage et meurtrière, à savoir l'impitoyable tueur à gages Chigurh. S'ensuit alors une longue traque entre les deux hommes que les Coen retranscrivent dans un rythme lancinant, synonyme de mort, le tout dans un silence lourd et pesant interrompu parfois par des coups de feu.
Cette chasse à l'homme est suivie de loin par le shérif Bell, un vieil homme qui n'a hélas plus la force pour affronter une telle barbarie. Il semble rester là, contemplant avec effarement les dégâts. Il est ainsi clair que la frontière entre la civilisation et le monde sauvage s'effrite de jour en jour. Et ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'elle ne disparaisse complètement et que des types comme Chigurh emportent tout sur leur passage.
Western moderne au teint crépusculaire, No country for Old Men propose donc au spectateur une virée poussiéreuse dans un Texas coenien suintant la mort et peuplé d'hommes aussi violents que ceux de la Horde Sauvage de Peckinpah. Et si la violence a toujours été un élément récurrent dans la filmographie des deux frères, elle atteint ici son paroxysme et n'est atténuée par aucun trait d'humour. Décidément, ce pays n'est pas pour le vieil homme.