_ C'est quoi le plus gros que vous ayez jamais perdu à pile ou face ?
_ Je sais pas. Je peux pas dire.
………………..
_ Annoncez.
_ Que j'annonce ?
Il semble que les frères Coen apparaissent de plus en plus avec l'âge comme les cinéastes de la mélancolie du temps qui passe et du désenchantement. Cela se vérifiera encore plus avec leur film suivant True Grit mais ici le shérif Bell est un vieux briscard qui ne peut que constater la violence croissante d'un monde sans repères, violence incarnée par le serial killer Anton Chigurh . Il est à noter que les années 90 et 2000 marquent la consécration de la figure du serial killer au cinéma et en littérature.
Certains détails rendent ce tueur joué par Javier Bardem encore plus terrifiant. Cormac McCarthy, qui privilégiait pourtant le personnage du shérif dans son bouquin, avait eu la bonne idée d’en faire un individu sans origine propre, sans métier défini et sans passé particulier. Par la volonté de son auteur son patronyme n’existe nulle ailleurs et par conséquent on peut lui coller le nom de n'importe quel assassin ayant défrayé la chronique sans trop se tromper.
En janvier 2018, Business Insider a révélé qu’un groupe de psychiatres avait étudié 126 personnages de psychopathes en étudiant 400 longs-métrages. Le personnage de Javier Bardem dans "No Country for Old Men" est celui qui se rapproche le plus du psychopathe classique, ont conclu les psychiatres dans leur rapport.
"Il semble être effectivement invulnérable et résistant à toute forme d'émotion ou d'humanité", ont encore écrit les chercheurs, ce qui est une constante chez les grands psychopathes.
Pour rendre leur personnage inoubliable les frères Coen l'ont doté d'un mode opératoire immuable comme l'est le rituel de tout tueur en série qui se respecte: la partie de pile ou face qui décide du meurtre, le fusil à silencieux et la bouteille de gaz à air comprimé. Un détail rajoute encore à l'horreur du tableau : Anton Chigurh est affublé de la coupe de cheveux »champignon » de Mireille Mathieu. La performance de Bardem, qui campe un tueur d'autant plus menaçant qu'il retrouve toujours la trace de ses victimes lui a valu un oscar du meilleur second rôle bien mérité.
Les autres acteurs ne sont pas en reste : Tommy Lee Jones, qui se sent vieillissant et arrive toujours trop tard, justifie ma traduction du titre : "Les vieillards n'ont rien à foutre ici" et Josh Brolin est le personnage courageux auquel le spectateur s'attache (en dépit de la couleur de sa chemise) qui se dirige inéluctablement vers son destin et que personne ne pourra sauver, ni le policier ni le tueur à gages qui poursuit Chigurh.
Les grands espaces déserts du début laissent la place à des motels qui suintent la solitude et à un enfermement qui pèse sur le spectateur et le plonge dans le malaise. Certaines scènes assez gore avec hémoglobine font penser à Fargo. En empruntant à plusieurs genres, western, survival, polar et thriller dans une mise en scène qui prend son temps, à l'ancienne donc, les frères Coen nous offrent un film qui est déjà devenu un grand classique du thriller.