No et moi... Réponse à un critique du journal Le Monde

NO ET MOI

Est un film français de Zabou Breitman sorti en 2010, inspiré du roman No et moi de Delphine de Vigan publié en 2007 aux éditions J.C. Lattès qui a reçu le prix des libraires l'année suivante.

Argument : Lou est une jeune fille de 13 ans surdouée et plutôt timide. Elle vit dans un milieu privilégié et bourgeois du Paris intra-muros. Sa mère incarnée par Zabou est dépressive. Presque par hasard et comme prise de cours, Lou choisit comme thème d’un exposé, les SDF et leur quotidien. Dans ce but, elle interviewe No, jeune fille de 18 ans sans famille et à la rue. Elle apprend à la connaître, non sans mal, elle l’apprivoise, devient son amie et s'arrange pour que ses parents l'hébergent chez eux afin qu'elle puisse trouver un travail.

Un article publié dans Le Monde le 16 novembre 2010, critique bien trop sévèrement à mon sens, le film de Zabou Breitman. Ainsi est-il incendié au lance-flamme de façon, par définition, très réductrice :

« ... Zabou a des idées de mise en scène. Sa grosse erreur est d'avoir choisi de faire interpréter la SDF par une actrice confirmée. Julie-Marie Parmentier a de l'abattage à revendre, mais on ne croit pas une seconde à son théâtral numéro de singe savant. Clope en bec, phrasé rude, gestes de poivrote : on a l'impression qu'elle fait un sketch. Pour que le film suinte de ce dont il voulait parler (naturel, irruption brutale de réalité), il aurait fallu - qui sait ? - une vraie voleuse de bicyclette, la Sandrine Bonnaire de Sans toit ni loi, un visage inconnu, une découverte comme celles que déniche Jacques Doillon, un stigmate d'authenticité. »

Selon cet article donc, dont j’ai lu l’intégralité, Zabou Breitman ne nous immerge pas assez, malgré ses « idées de mise en scène », dans le monde de la rue. Peut-être que le regardeur aurait souhaité plonger davantage au plus près des clochards, de leurs cartons pourris, de leurs corps et de leurs yeux qui ne cessent de fuir car nous-mêmes sommes les premiers à les éviter, la cinéaste aurait dû fréquenter au plus près les SDF, les examiner en gros plan ces invisibles pour nous faire renifler davantage de crasse, que l’on puisse assister à du glauque certifié du petit bout de notre lorgnette de nantis calés dans nos fauteuils de cinoche en velours cramoisis. Zabou aurait dû filmer la rue et auditionner dans un centre médico-social, en fait, afin de nous balancer du lourd, de l’agressif, du « brutal », elle aurait dû se repaître d’une sorte de docu-fiction, en réalité, sur ceux-là qui sont depuis un sacré bail, (sans mauvais jeu de mot), « enfermés dehors ». En réalité, toujours selon le critique du journal Le Monde, Zabou aurait dû réaliser un autre film, basé sur un autre scénario, inspiré d'un autre roman : l’histoire qu’on lui a racontée a sans doute dévoilé à cet éditorialiste plusieurs pans d’une réalité qu’il ne voulait pas qu’on lui montre. Peut-être souhaitait-il n’être confronté qu’à une seule représentation du monde, un monde que nous ne faisons que nous imaginer du reste, et sans doute aussi que les passages d’une vie à une autre qui se déploient dans le film, ces décalages complexes entre plusieurs existences ont, à mon avis, perturbé l’idée préconçue que le journaliste se fait des clivages sociaux et intergénérationnels. L’intrigue, en effet, évolue entre un arrondissement huppé de Paris flanqué de ses appartement cossus et de son lycée bourgeois et les bas-fonds délabrés des sous-pentes de la gare d’Austerlitz... bas-fonds trop édulcorés, prétend encore le critique, la cinéaste ne les ayant pas radiographiés avec assez d’insistance selon lui.

Zabou a réalisé un film qui nous raconte une amitié improbable entre deux gamines, deux jeunes filles issues de deux milieux diamétralement opposés. Sans le moins du monde vous dévoiler la fin du film, on sait que « les histoires d’amour finissent mal, en général. »

La caméra de Zabou Breitman s’approche au plus près de ses personnages, en dresse les portraits, sans voyeurisme.

Elle les suit, elle déroule avec une adresse incisive et une précision singulière, loin des clichés et de la caricature, une intrigue fidèle à la trame du roman dont elle s’inspire. Plusieurs parcours de vie s’y côtoient et s’enchâssent, leur dénominateur commun étant la solitude. Les parents de Lou sont dépassés et perdus, malgré leur aisance financière. La mère de Lou, remarquablement interprétée par Zabou, ne se remet pas de la mort d’un premier enfant, elle en délaisse sa fille et ne s’aperçoit pas que cette dernière est là, bien en vie, elle, et que, malgré son QI de 160, ses deux ans d’avance et l’amour trop lointain que ses parents lui témoignent, elle manque cruellement de repères et se sent complètement démunie. Le jeune Lucas, camarade de classe de Lou, secrètement amoureux d’elle au début, loge seul, livré à lui-même, même si rien ne lui manque matériellement dans le grand appartement de son père toujours absent qui lui envoie de l’argent et une carte postale de temps à autre. Et enfin, ce qui m’a le plus bouleversée dans le film de Zabou, c’est en particulier l’époustouflante prestation de Julie-Marie Parmentier qui incarne NO, pas même nominée à l’époque et c’est à mon sens très dommage, pour le César du meilleur espoir féminin ; et si son jeu est remarquable, c’est bien justement parce que c’est une comédienne confirmée et pas une débutante qu’un directeur de casting aurait ramassée dans la rue parce qu’elle aurait collé au plus près du rôle, qu’elle aurait eu une belle petite gueule un peu fracassée et, en plus, pourquoi s’en cacher, parce qu’elle aurait coûté moins cher à la production. Zabou dirige et filme ses comédiens avec une authenticité poignante, à l’exacte distance, et particulièrement cette jeune comédienne qui s’est emparée du rôle de No avec une puissance ravageuse mêlée d’une extrême subtilité qui donne à son personnage toute sa sauvagerie, seul luxe dont peut se revêtir une jeune femme qui vit dans la rue, et c’est bien ce qui confère à l’interprétation de Julie-Marie Parmentier, son exactitude. Le relief qu’elle imprime à son incarnation, le professionnalisme qu’elle met à son service, parce que c’est un métier que d’être acteur, nous change enfin de trop d’interprétations susurrées et déliquescentes dont tant de midinettes et d’Adonis du cinéma qui s’improvisent acteurs, nous gratifient. Derrière la rugosité de son interprétation se cache également une fêlure infiniment touchante et alors, voilà... Ah ! Le mot est lâché comme s’il était grossier, elle donne au spectateur... de l’émotion... que le critique du journal Le Monde nomme le pathos en qualifiant de « sketch », de « numéro théâtral de singe savant » le jeu de la jeune comédienne. J’avoue tout : j’aime aller au cinéma pour être émue ! Qu’on me pende ! Zabou Breitman, au-delà de « ses idées de mise en scène », (notons au passage la condescendance du propos d’où n’est pas loin d’affleurer un sexisme à peine rampant) a le sens de l’espace, du montage, du cadre, et par définition étant elle-même comédienne, celui de la direction d’acteurs. Enfin, les références du critique qui a incendié le film de Zabou à sa sortie et dont je ne partage pas, vous l’aurez bien compris, l’opinion si tranchée et si catégorique, aussi prestigieuses qu’elles soient, me semblent inappropriées pour ne pas dire hors-sujet. Son appréciation du jeu de la comédienne qui incarne No est purement et simplement une contre-vérité qui suinte (pour reprendre son expression) de toute l’aigreur et de la mauvaise foi que j’attribue peut-être à sa détestation des comédiens de théâtre qui savent s’emparer de leur texte qu’ils ont appris à parfaitement articuler même lorsque ce dernier fuse à l’écran avec toute l’exaltation et l’effervescence nécessaire à la restitution d’un rôle, enfin bref, ils connaissent leur métier et ses enjeux et construisent leur personnage en leur donnant enfin une colonne vertébrale. Julie-Marie Parmentier est en effet une comédienne du Français.


Ce journaliste doit être un amateur de cinéma-vérité, donc, avec ses effets de caméra à l’épaule nauséeux mais hélas privé du génie des frères Dardenne, avec ses plans vacillants et techniquement débraillés, dont, je l’avoue, et sans doute mea culpa, je ne suis pas très friande, à quelques rares exceptions près.

Voici l’une de ces exceptions, et pour le coup, je suis d’accord avec ce critique : « Sans toit ni loi », excellent film d’Agnès Varda, suit également le parcours d’une sans-abri mais, d’une part, la fugueuse, remarquablement interprétée par Sandrine Bonnaire (encore un point de vue que je partage ; soit dit en passant, Bonnaire avait déjà à son actif deux films sous la directions de Pialat, elle n’était donc pas une débutante) son personnage dans « Sans toit ni loi » fait délibérément le choix d’une errance, choix dont on ignore l’origine, elle préfère mourir de froid au bord d’un chemin creux plutôt que de perdre sa liberté et d’autre part, l’intrigue du film de Varda (notez au passage le comble d’élégance avec laquelle le journaliste ne prend même pas la peine de citer le nom de la réalisatrice) se déroule en milieu rural et se focalise presque exclusivement sur le personnage de la marginale, les autres individus qu’elle croise n’étant que des sortes de passagers apparaissant comme en contrepoint. Quant à ce « visage inconnu, [une] « cette » découverte... [un] « ce » stigmate d'authenticité... » autant de motifs qui auraient soi-disant tellement manqués au critique du journal Le Monde en 2010 à l’en croire, ma foi, je vous laisse méditer sur le raffinement de l’hommage rendu avec les termes employés et surtout choisis "visage inconnu" ; "découverte" ; "dénicher" ; "stigmate d’authenticité..." ; c’était effectivement toute une époque, un autre temps et reconnaissons-le aussi, d’ailleurs, que sans jamais citer un seul des titres de ses films, l’auteur de l’article, a au moins fait l’honneur de citer le nom du réalisateur, ce que pour ma part, je ne ferai pas... même s’il faut bien rendre à César ce qui est à César.



Calimero427
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le 1 sept. 2024

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