Imaginez le village dans lequel vous êtes né(e), et dans lequel votre famille et des amis vivent certainement encore aujourd'hui. D'ailleurs, vous aussi vous y vivez peut-être encore. Maintenant, imaginez qu'un beau matin, ce village est rasé : l'école, les champs, la maison des voisins, votre maison... Plus rien ne reste, et s'il reste quelque chose, ce n'est qu'une question de semaines avant que cette chose soit détruite à son tour. En un rien de temps votre enfance et la vie des habitants sont balayés, sans sommation, par des bulldozers et des hommes armés peu enclins à la discussion. Si vous parvenez à imaginer ce tableau, je vous encourage à faire un dernier effort, en l'élargissant à une échelle non pas d'un village, mais d'une région du monde toute entière.

Bienvenue en Cisjordanie, bienvenue à Masafer Yatta.


Cette zone composée de plusieurs villages, située à l'extrême sud de la Cisjordanie, constitue le cœur d'action du documentaire, puisqu'il ne passe pas une semaine sans que les habitants de Masafer Yatta voient débarquer dans leur terrain des engins et des hommes qui n'ont qu'un seul objectif : démolir et expulser. Cet espace géographique est réclamé par l'État d'Israël, déclarée "zone militaire" depuis les années 1980. Au cours du documentaire, on apprendra sans aucune surprise qu'il s'agit là surtout d'un prétexte pour chasser les Palestiniens et réduire leur territoire, en l'octroyant plus tard aux colons israéliens.

C'est un plan d'expulsion, d'invasion et d'extermination.


Les réalisateurs de No Other Land racontent cette lutte des Palestiniens pour la préservation de terres ancestrales, mais également pour leur dignité. La forme est brute, le récit sans artifices : toute l'énergie est mise dans la restitution simple, souvent crue et anarchique de cette résistance dont les habitants font preuve, malgré un rapport de force ridiculement déséquilibré. On parle de camions et de bulldozers escortés par l'armée israélienne, qui prennent d'assaut des villages de Bédouins, qui – avec tout mon respect pour la vie pastorale – ne peuvent pas rivaliser. Pas de quartier, les ordres sont les ordres (j'imagine) ! C'est donc à grands coups de légitimité que l'armée rase ces terres, détruit les constructions et éloigne toute âme Palestinienne qui vive – bien entendu, il faut remplacer "légitimité" par "violence, armes à feu et arrestations abusives".

Ce documentaire est mené par quatre réalisateurs : deux sont originaires d'Israël, les deux autres de Masafer Yatta. À l'écran, on voit Yuval et Basel : le premier est un journaliste israélien, le second un avocat palestinien. Bien qu'elle agisse en toile de fond, leur relation révèle à la fois ce qui lie deux individus dont la lutte est commune, mais également leur différence évidente face aux conséquences directes de leur militantisme. C'est une amitié qu'on devine difficile à construire pour Yuval ; dire que lui et Basel appartiennent à deux mondes différents est un euphémisme ! Alors, la confiance et la complicité ne sont pas automatiques ; mais justement, ce lien qui se renforce avec Basel et qui se crée avec d'autres militants cisjordaniens est d'autant plus authentique.


No Other Land est un film qui ne vous ménage pas, qui met un point d'honneur à mettre en image la réalité dans sa forme la plus spontanée, ce qui la rend plus cruelle encore. Rien n'est facile. On alterne entre moments de répit et moments d'agitation, on passe des soirées festives aux réveils brutaux sans qu'on ait le temps d'apprécier les rares instants de rassemblement et de discussion paisible. Mais c'est tout simplement parce que la paix n'existe pas pour ces gens. À part reconstruire, et freiner légèrement l'éradication inéluctable de leurs terres, ces habitants n'ont aucun pouvoir. Très vite, on comprend la fatalité : chaque semaine, des personnes viendront détruire ces villages, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien que de la terre et du sable. Quitte à tuer ceux qui essaieront d'y rester. Les dernières images qu'ils parviennent à capturer à Masafer Yatta datent d'octobre 2023, après les attaques du Hamas. Autant vous dire que ces terres, déjà théâtre de violence et d'abus de pouvoir, deviennent ce que l'État d'Israël désir qu'elles soient depuis 40 ans : une zone définitivement invivable pour les Palestiniens.


De notre côté, on peut se demander quel autre pouvoir nous avons que celui de nous faire l'écho tardif de ce nouvel exemple de l'injustice infligée à des femmes, des hommes et des enfants, dont la lutte vaine est devenue le seule moyen d'exister.

Vous l'aurez compris, difficile de ne pas ressortir fataliste de No Other Land.

Fernand-Malbrute
8

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le 25 nov. 2024

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