Il y a de l'espoir pour Michael Bay !
*attention, cette critique est bien longue*
"Pain & Gain" est un film de 129 minutes réalisé par Michael Bay et sortit le 26 avril 2013 aux États-Unis. Ce long-métrage est l'adaptation éponyme d'une série d'articles de Pete Collins publiés dans le Miami New Times en 1999.
Le film raconte l'histoire de trois bodybuilders qui afin d'accéder au « rêve américain » décide de kidnapper un riche entrepreneur et de lui extorquer sa fortune. Les trois personnages n'étant pas des génies, la situation se complique et les péripéties les plus folles s'enchainent jusqu'à leurs arrestations, puis enfin leur procès.
Étrangement nommé "No pain no gain" en français, ce film est un élément discordant dans la filmographie pourtant harmonieuse de Michael Bay qui s'était fait un nom en tant que mauvais réalisateur de gros blockbusters sous testostérone tel que "Bad Boys" (1995) "Armageddon" (1998), ou encore la saga des "Transformers" (2007-2014).
Méprisé par la critique, le réalisateur américain est un spécialiste des films à budgets colossaux, rapportant systématiquement plus d'une centaine de millions de recette (à part pour Pain & Gain). C'est donc une surprise de découvrir un film aussi riche, intelligent et intéressant dans sa filmographie. Ici, le budget est assez mince (26 millions de dollars) pour un long-métrage du quatrième réalisateur le plus rentable au monde (derrière Spielberg, Cameron et Jackson)
Le film est construit comme une avalanche d'éléments improbables, de situations tellement absurdes que l'auteur est obligé de nous rappeler à 1h48min de film que le récit est une histoire véridique. Afin d'être assez proche de la matière première (les articles de Collins), Bay construit son récit en commençant par l'arrestation de Lugo, puis revient à l'origine de l'histoire, avec comme voix offs, les témoignages de chacun des personnages.
Dès l'ouverture du film, Bay installe l'enjeu de la musculation. Le premier plan illustre Lugo qui se muscle les abdominaux sur un mur où une immense fresque « Sum Gym » montre dans un design proche des affiches soviétiques, un homme arborant fièrement ses biceps. En travaillant ses muscles, le personnage se parle à lui même, se motivant en criant « I'm strong ! I'm hot ! » (« Je suis fort ! Je suis beau ! »). De nombreuses scènes du film se trouvant dans le club de fitness « Sun Gym », le décor est donc souvent constitué de machinerie de musculation, ainsi que des figurants les utilisant ou s'étirant. Ici, de façon discrète, Bay montre toutes les formes de fitness (yoga, culturisme, cardio, etc...) ainsi que tous les styles de pratiquants : de l'obèse en quête de perte de poids, aux personnes âgées entretenant leur forme ou encore les danseuses de striptease qui cherchent à garder une apparence particulière.
Évidemment, ce qui intéresse néanmoins l'auteur du film, ce sont les bodybuilders et leur obsession du gain de muscles et de la perte de pourcentage de graisse. Toujours dans le décor, lorsqu'ils quittent le club, chez eux ou dans leur planque, ils conservent l’habitude d'y installer des posters de culturisme et des installations de développé/couché. Ainsi, chez Adrian, chez Lugo ou à côté de leur captif, ils vont se muscler continuellement, s'autorisant comme récompense des boissons ultra-protéinées ou du lait maternel acheté sous le manteau.
La mise en scène va aussi participer à l'omniprésence de la monstration de la musculation. Ainsi, pour réfléchir, Lugo s'entraine. Il va élaborer un plan en soulevant des poids ou encore trouver des solutions de cette façon. Les personnages n'étant pas très futés, l'image de leurs réflexions passant par une activité physique est propice à l'humour. Lors d'un plan séquence où ils tendent un piège à un magnat du cinéma pornographique, Adrian et Paul occupent la femme de la victime en mettant de la musique et en dansant. La danse se transforme rapidement en une série de quatre-vingts pompes qu’effectue Paul sous les seuls encouragements d'Adrian. On retrouve aussi Paul qui, lors d'un bad trip sous cocaïne, se met à faire des développés/couchés en boucle, augmentant son état critique de panique.
Le premier propos que Michael Bay expose dans son film, est un regard sur le patriotisme américain et comment celui-ci passe à travers tous les domaines de la vie quotidienne.
Dans ce film, c'est avec le sujet de la musculation que ce patriotisme transpire et que le thème du « rêve américain » est exposé. Lugo n'a de cesse de parler de son rêve américain, faisant une analogie entre le travail corporel et l'histoire des États-Unis : le pays nait comme des maigres colonies qui vont s'agrandir afin de devenir le pays le plus « fort » du monde (du moins, le plus riche et le plus puissant). Lugo voit le comportement de ses contemporains qui « gaspillent » leur potentiel (obésité) comme des gens qui trahissent leur pays. De plus, lorsque Lugo découvre que l'un de ses clients est un détective qui cherche à l'inculper, il se sent trahi puisqu'ils étaient selon lui, lié par un serment de musculation (Lugo lui avait promis qu'il serait aussi musclé que lui). Le coach voit cette « trahison » comme un acte d'infamie. Il est encore plus en colère contre cette trahison que contre le fait d'être en danger d'arrestation. C'est avec ce mélange de patriotisme presque fasciste (tout le monde devrait être musclé et « parfait ») et de rêve américain que, lorsque Lugo est arrêté, il est presque fier d'être le centre d'attention. Il se sent un peu comme le Scarface de De Palma, devenue célèbre, redouté et poursuivi en étant partit de rien. Ce rêve américain modifié est une sorte de réussite pour lui, puisqu'il ne va pas vivre sa condamnation à mort de façon tragique.
Une autre approche de Michael Bay dans ce film, est le caractère religieux que revêt la musculation. Lors des deux monologues intérieurs de Lugo à l'ouverture et fermeture du film, il se définit par cette phrase : « I believe in fitness ! » (« Je crois dans le fitness ! »). Cette confession de foi est révélateur d'une Amérique où la religion est un caractère primordial des relations sociales, au point où les athées sont des petites minorités peu considérées dans la société.
Ici, la religion de Lugo est le culturisme (s'opposant au catholicisme exacerbé de Paul) qu'il voit, non plus comme un moyen de sagesse, mais comme un mode de vie, de conduite et de pensée. Comme dans toutes les religions, il part d'un référentiel commun: nous sommes tous égaux, ici tous une masse de « sang et de muscle », ayant le même potentiel qui dépend du travail et de la volonté afin de s'épanouir socialement. Ici, c'est la place dans la société qui prime sur la spiritualité. Lorsque la « trahison » du détective intervient, Lugo compare l'abus de confiance comme équivalent à celui d'une faute d'un prêtre qui répète les confessions reçues.
Le dernier caractère du film est celui de la superficialité de la société américaine et de ce type de bodybuilder. Le film s'ouvre sur cette affirmation du héros principal « I'm strong ! I'm hot ! » (« Je suis fort ! Je suis beau ! ») et tout le long du film, l'image que l'on dégage de soi sera un leitmotiv ainsi qu'une motivation pour Lugo et ses clients. Pour Adrian, comme le fait remarquer son ex-femme lors du procès, la musculation est une manière de compenser la taille de son pénis. Seul Paul échappe à cette dictature de l'image. Cette attitude de la recherche du beau, du parfait du « look better » a comme conséquence d'écraser les autres afin d'avoir la plus belle maison, la plus belle voiture, femme, tondeuse, etc...
La compétition esthétique est une compétition sociale, comme on peut le voir lors du séminaire : être un homme ou une femme d'action, c'est ne pas se laisser faire et prendre sa part du gâteau. Malgré les efforts de Lugo au début du film, il est rattrapé par la réalité, ici symbolisé par la police et la justice.
"Pain & Gain" est une bonne surprise puisque malgré la filmographie très passable de Michael Bay, il propose un film à la fois corrosif sur la société américaine, drôle et qui ne se prend pas au sérieux, assumant l'aspect loufoque des situations et événements pourtant réels. Que ce soit par l'imagerie ou les propos, la musculation est ici une lentille, un symptôme pour comprendre une partie de l'Amérique. Une civilisation marquée par la religion, le patriotisme et la superficialité.
Le film réussit aussi à éviter de nombreux écueils grâce à un rythme soutenu et une mise en scène qui changent de point de vue au fur et à mesure, approfondissant les personnages qui n'auraient pût être que des outils scénaristiques.
Pour terminer, le film est une réussite cinématographique et scénaristique qui marque un tournant dans la filmographie du réalisateur, du moins un peu d'espoir quant à son talent qui ne brillait pas vraiment pour l'instant. Bisous