Première image, le profil pur d'un jeune garçon envahit l'écran : longs yeux étirés vers les tempes, type asiatique mâtiné d'orient, beau et grave, presque trop...
Une image vite relayée par la vision plus prosaïque d'un gamin, à la sortie du supermarché, trimballant des sacs plastiques dans un Tokyo affairé et bruyant.
Car Akira, du haut de ses 12 ans et tout désigné qu'il est par son statut d'aîné, a déjà charge d'âmes, portant sur ses épaules le poids de la fratrie, deux soeurs et un frère.
En guise de parents, un père absent et une mère immature et fantasque qui semble jouer à cache-cache avec sa progéniture, disparaissant au gré de ses humeurs amoureuses pour reparaître, sourire aux lèvres et voix enjôleuse, les bras chargés de cadeaux.
Dans l'appartement exigu, la vie cependant s'organise selon les règles édictées le plus naturellement du monde par cette créature mi femme mi enfant, dont l'apparence charmeuse cache un formidable égoïsme: seul Akira, promu chef de famille et pourvoyeur en titre, pourra quitter l'espace clos, les trois autres, à qui on a intimé d'être "invisibles" restant confinés à l'intérieur, sans bruit, sans cris.
On l'aura compris, derrière le mensonge de façade visant à obtenir un appartement plus spacieux, se profile chez la jeune mère le déni d'enfants : ces naissances, de simples accidents de parcours avec des amants de passage.
Un peu d'argent, des petits mots, un retour de temps à autre, la mère prodigue rentre une dernière fois au bercail, ton câlin et douces paroles, les petits se laissent bercer, l'aîné, lui, a déjà tout compris.
Il assume, il assure, animé par cette extraordinaire rage de vivre que possèdent les enfants, cette capacité à rebondir dans les pires situations, tandis que se profilent à l'horizon les affres de la précarité et bientôt de la misère.
Pourtant c'est dans la pièce de séjour, autrefois accueillante, aux effluves désormais pestilentielles, où s'entasse tout et n'importe quoi, qu'il ose emmener des copains peu recommandables riant sous cape de l'infâme dépotoir, là que sa soeur, Kyoko la douce, tapote en rêvant les touches de son petit piano rouge, là que Shigeru, le jeune frère bouillonnant d'énergie, pétrit avec passion sa pâte à modeler, la sculptant en des figurines distordues, là que la benjamine de 5 ans, Yuki, petite poupée de chair, se laisse coiffer et habiller comme une princesse, devenue l'espace d'un instant, la jeune cousine,
an adorable little girl "
diront les voisins attendris, tandis que la fillette, ravie, s'éloigne aux côtés de son grand frère , faisant couiner ses petites sandales rouges.
Une situation qui se délite au fil de quatre saisons, nous immergeant dans l'univers chaotique de ces enfants, jamais désespéré toutefois, où chacun s'accroche aux petits plaisirs d'une existence qui a étouffé dans l'oeuf leurs rêves et leurs aspirations.
Précarité, misère, et bientôt le drame, suggéré par la seule caresse d'une main sur le visage d'une enfant qu'on ne verra pas, caresse que l'on ressent au plus profond et qui fait mal, s'abattant sur nous avec une douceur infinie, d'autant plus terrible, d'autant plus poignante, car jamais Kore-eda ne montre l'horreur, et de cette enfance perdue, il filme les jeux et les souffrances , dans une oeuvre, tout en délicatesse, balançant entre comédie et tragédie, émouvante et sobre : un grand film.