Incrédule et désabusée, Zahira est invitée à regarder trois photos qualité webcam. Voici trois hommes qu'elle ne connait pas, qui se trouvent à des centaines de kilomètres de chez elle. L'un d'eux sera l'homme avec lequel elle devra se marier, faire don de son corps et de sa vie. Pour le don du cœur on verra plus tard, paraît que ça se fait tout seul par la suite lui dit sa mère. Bref, drôle de situation pour une jeune lycéenne habituée à sortir en boite de nuit avec ses potes.


Un pakistanais doit se marier avec un pakistanais, c'est comme ça. Même si son frère lui dira à un moment que Dieu la juge et la regarde, c'est pas tant ce Dieu qui pose problème que le poids de la tradition, de la société (ici pakistanaise) et de ses normes. Ce qui est en jeu c'est l'honneur de sa famille, la condition même du retour au bled, de l'existence sociale pour cette famille comme tant d'autres. Bref, ce film est bien-sur l'histoire d'un choc des cultures et des générations.


Zahira ne veut pas se marier avec homme qu'elle n'a pas choisi, elle ne peut pas et l'on vit avec elle tout au long du film les terribles conflits qui l'habite . Mais refuser ce mariage lui fera endosser la responsabilité d'avoir déshonoré sa famille, et peut-être même d'avoir tué (allons-y carrément !) son père dont le cœur fragile semble enclin au chantage.


Zahira, elle est au milieu de tout ça, mais c'est également le cas de son frère. Il s'agit d'un frère aimant, qui veut juste que « les choses s'arrange ». C'est d'ailleurs peut-être davantage au frère que le cœur du père va faire du chantage. La tradition en elle-même ce n'est pas ce qui préoccupe le plus ce frère, mais bien plutôt les conséquences désastreuses qu'impliquerait son infraction. Ces préoccupations sont aussi bien celles de Zahira que de son frère, mais leurs places ne sont bien-sur pas les mêmes.
Le frère est dans un entre deux absolument insupportable, prit entre sa petite sœur qu'il aime et ses parents (la famille avec un grand F). Il y a un enjeu de mort dans ce drame, quelqu'un devra y passer : le père (c'est à dire la famille) ou Zahira. Ce qui m'amène à la fin qui m'a fait un véritable choc, d'une violence comme je n'en avais pas vécu depuis longtemps au cinéma. Un choc parce que je ne l'avais pas du tout vu venir (c'est le principe vous me direz). Mais une fois la séquence passée je me suis dit que c'était évident, on nous avait préparé à cela. Ce frère passivé par les événements, messager sinon médiateur, ne pouvait plus supporter d'être le spectateur passif de cette catastrophe familial, d'un père et d'une mère qui pourraient en mourir. Il ne peut rien faire mais il doit faire quelque chose quand même, il doit prendre ses responsabilités, agir, être actif. D'une façon ou d'une autre il faut que « les choses s'arrangent ». Il m'aura surpris, à la fin, le frère, mais après tout qu'est ce qu'il lui restait ? Est-ce qu'il n'endossait pas la responsabilité de ce qui se passait en ne faisant rien ? Ce qui est sûr c'est que ce frère, tout comme Zahira, était véritablement seul, abandonné à ses propres choix.


J'ai lu dans plusieurs critiques que l'histoire de ce film est celle d'une fille qui n'est pas comprise par sa famille. De mon point de vue, c'est bien l'inverse dont il s'agit : les femmes de la famille comprennent au contraire très, trop bien ce que vit Zahira. C'est là que j'ai aimé le point de vue du réalisateur, la complexité tout à fait réaliste et humaine de ce film. Plusieurs plans, que j'ai trouvé loin d'être anodins, m'ont amené à ressentir cela. Lorsque je voyais la mère et la grande sœur expliquer à Zahira que ce qu'elle traverse est tout à fat normal, qu'elles ont finit par tomber amoureuse de leur mari et que cela se produira également pour elle, je trouvais qu'il y avait autre chose à entendre : deux femmes qui tentent de se convaincre de leur choix. D'aucuns pourraient me dire que ces femmes n'avaient pas eu de choix justement, mais Zahira leur montre bien l'inverse, ne leur en déplaise. Zahira fait un choix, choisit une option qu'on ne lui a pas proposé et peu importe les conséquences. Voilà la mère et la grande sœur se prennent en pleine face lorsque Zahira se révolte. S'il faut à tout prix convaincre Zahira du bien-fondé de ce mariage, il s'agit surtout de se convaincre soi-même, de sauver sa peau face à ce que Zahira vient remuer de l'histoire personnelle de chacune de ces femmes. Et puis si elles ont fait ce sacrifice, ce don d'elles-même, il n'y a pas de raison que Zahira le ne fasse pas !


Zahira fait donc brutalement l'expérience de la condition féminine dans cette deuxième communauté. Comme lui dira ça grande sœur, "bien-sur que c'est injuste, on est des femmes !". C'est dans cette perspective-là que j'ai particulièrement apprécié la scène qui suit le retour de la boite de nuit et où Zahira explique au jeune garçon, qui tente de la séduire, que "la tradition c'est pratique quand on veut dire non". Avec lui elle peut dire non, un "non" qui fait parti des règles du jeu, un "non" qui est toléré. C'est d'ailleurs comme cela que j'ai vu la résistance (de bonne guerre) de Zahira envers ce garçon avant de finalement succomber à ses charmes. Certes elle a peut-être autre chose à penser, vu le contexte, qu'à une amourette avec un garçon du lycée. Mais finalement, et vu le contexte justement, elle pouvait aussi apprécier dans cette relation le fait de se refuser, de choisir.


Bref, j'ai choisi d'évoquer arbitrairement ces deux-trois points-là, parmi d'autre et de façon assez décousu, mais ça fait parti de ma lecture à chaud de ce film. Pour conclure (et critiquer à proprement parler), j'ai trouvé ce film très juste, absolument pas dans la caricature ou dans le jugement. Le jeu de tout les acteurs est formidable, particulièrement celui de Lina El Arabi. Le réalisateur à su me faire vivre la souffrance et la complexité de CHACUN des protagonistes. Ce genre d'oeuvre invite selon moi à quitter les postures condescendantes et trop tranchées. Ces questions sont bien-sûr plus qu'actuelles... J'ai d'ailleurs tout particulièrement aimé cette scène où le père de l'ami à Zahira (le cousin du frère à la mère dont l'oncle connaissait le neveu du...) vient voir le père de cette dernière dans son épicerie. Je serais bien en peine de ressortir le dialogue mais le père de Zahira, passablement énervé, lui répond quelque chose du genre "Mais bien-sûr ! Vous "comprenez" ! Vous "comprenez" tout le monde vous !". En effet, il convient peut-être de ne pas être trop prompt à la "compréhension", ce n'est pas donné comme ça de comprendre les gens et la complexité qui les détermine...

artgirer
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le 23 févr. 2017

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artgirer

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