Stephan Streker signe là un film assez redoutable, par le fond mais aussi par sa forme. Il sait exactement où il emmène le spectateur et ne lui laisse guère d'autre latitude que de suivre avidement ce qui se passe à l'écran.
A commencer par le fil de l'histoire, dont le dénouement est assez vite et intentionnellement livré. En effet ce n'est pas sur la trame que doit reposer la qualité du film, simple ici, elle n'est qu'un support. Pour le réalisateur, il s'agit beaucoup plus de s'attarder sur la complexité des relations humaines polluées par la pratique extrême de la religion (Islam dans le film mais duplicable aux autre dogmes) et le poids des traditions. "Noces" est un film sur les contradictions qui expose avec une certaine neutralité, le point de vue de tous les protagonistes, comme autant de raisons de s'aimer ou de se renier, avec au centre, la destinée de Zahira.
Zahira, jeune fille sage, très croyante et pratiquante, n'en décide pas moins pour sa vie, que de jouir, comme tout à chacun de sa liberté d'être. Cela passe par le respect (de soi, famille, culte...) mais aussi par cette envie irrépressible d'être dans le live, de "son temps" et de s'affirmer autonome dans une frange de société où la femme est encore pour beaucoup déconsidérée.
C'est de cet antinomique parcours que va s'articuler une galerie de portraits aux comportements tous aussi bien ciblés et réfléchis où l'amour (il est omniprésent dans le film) va se partager entre la raison et la révolte. Zahira d'abord, mais aussi Amir le frère aimant et torturé par les digressions de sa sœur, le père et la mère ancrés dans les coutumes maintes fois séculaires et la respectabilité à tout prix, Hina la sœur à la résignation perverse, et ceux de "l'autre camp", André qui malgré ses efforts ne comprend rien, Aurore la meilleure amie et confidente de Zahira et enfin Pierre le petit copain, aussi bien tentation qu'espoir. Tous campés par de généreux acteurs, Lina El Arabi et Sébastien Houbani en tête.
Comme je l'ai déjà dis, l'histoire repose sur un socle dramatique ostensible et prévisible, la mise en scène forçant le trait, cela donne une extraordinaire liberté d'ouverture sur le fugitif. Les prises de vues sont souvent originales, les scènes courtes. Cela marque parfaitement l'instabilité de la situation et l'urgence dans l'affirmation de Zahira en tant que jeune femme libre. "Noces" se révèle alors un film impressionniste qui cherche à faire réagir.
Et le spectateur de s'interroger. Car s'il doit faire face à une situation de fait, il doit faire face à ses propres questionnements le poussant à une réflexion profonde, pendant tout le film, mais aussi après. Cette réflexion dépasse alors le seul cas de Zahira. Si le cinéma est avant tout du divertissement, et "Noces" en est un car il formellement accompli, il ne cesse depuis toujours (disons au moins pour le cinéma d'auteur), de contribuer à figer la conscience du moment présent dont l'après sera ce que nous en ferons. Stephan Streker l'a parfaitement compris et signe ici un film intègre, douloureux et particulièrement adroit.