Uppercut pour Génération en Souffrance

Peu de films ont créé une polémique aussi forte que Nocturama ces dernières années. Il est vrai que, même s'il a été tourné avant les attentats de Paris ou de Bruxelles, un film racontant la nuit d'un groupe de jeunes venant de réaliser un acte terroriste au cœur de la capitale française a de quoi troubler. Pourtant, le film n'entretient quasiment aucun lien dans ses thématiques avec ces faits d'actualités. Il se rapproche beaucoup plus d'un Fight Club moderne et pourrait très bien avoir le même impact sur les jeunes actuels que le film de Fincher a eu sur ceux de ma génération.
Si beaucoup reprochent au film de faire l'apologie du terrorisme ou de ne pas expliquer clairement les motivations de ses « héros », j'aurais tendance à leur dire qu'ils sont passés à côté de leur sujet. Moi aussi, durant la première partie du film, j'ai cherché à comprendre le « pourquoi » et ce qui rassemblait ces jeunes d'ethnies et de milieux sociaux totalement différents. Et puis j'ai fini par comprendre... Si on ne nous explique jamais clairement la raison de leurs actes, c'est tout simplement car il n'y en a pas une seule mais autant qu'il y a de personnages ! Chaque protagoniste a agi pour ses propres raisons, que ce soit pour un acte de foi, de rébellion ou encore d'amour. Là où tous se retrouvent, c'est justement au travers de leurs errances. Tous ces jeunes sont perdus au milieu d'une société qu'ils ne comprennent pas et qui les dévore chacun à leur manière. À leurs yeux, seul un acte extrême leur permet d'exister et de donner un sens à tout ce foutoir qui les entoure. L'excuse qu'ils utilisent pour revendiquer leurs actes de perdition n'a finalement aucune importance.
Au travers de cette lecture de la société, certains pourraient considérer le film comme dangereux, et c'est vrai qu'il l'est. Pas parce qu'il fait l'apologie du terrorisme comme certains le prétendent ou parce qu'il serait ouvertement anarchique ; s'il est dangereux, c'est parce qu’il est à la fois essentiel de le montrer à la jeunesse actuelle mais qu'il est tout aussi essentiel de les aider à l'interpréter. En l'état, le film risque de les placer dans un état assez proche de celui des protagonistes, perdus entre leur désespoir légitime vis-à-vis du monde qu'on leur propose et aveuglés par leur envie de changement. Le rôle des adultes est de canaliser toutes ces émotions. Il n'est d'ailleurs pas anodin que les seuls adultes du film soient deux clochards, un couple de marginaux à qui des jeunes en quête d'équité feront payer le prix fort pour leur avoir offert une nuit dans le paradis de la consommation.
Ce symbolisme est un des nombreux qui sont offerts par Nocturama. Je pourrais par exemple parler du centre commercial, symbole d'un luxe que cette jeunesse refuse mais dans lequel elle court se réfugier. Les images sont fortes et magnifiées par une mise en scène sublime de Bertrand Bonelo. De son ouverture sous forme d'un panoramique sur la ville de Paris à sa dernière seconde au son d'un « aidez-moi » qui m'a littéralement mis K.O., le travail de réalisation est splendide. Certaines idées de mise en scène sont stupéfiantes, comme ces mannequins de plastique sans visages servant à la fois de miroir, fantasme ou modèle pour le groupe d'adolescents. Ils sont le parfait symbole d'une société dans laquelle l'individu est devenu anonyme. Mais c'est véritablement au niveau du travail de montage que la magie opère le plus. Véritable modèle du genre, il fait souvent penser au travail d'un Brian De Palma. L'équilibre entre audace (dont un split-screen à base de caméra de surveillance) et cohérence narrative a rarement atteint un tel niveau au travers d'un travail de montage.
Je pourrais continuer à parler longtemps de Nocturama tant il me reste des qualités à aborder, que ce soit au travers des acteurs ou de la bande son par exemple. Je pourrais par exemple parler des heures de cette dernière et de son incroyable intelligence ; que ce soit au travers de cette scène finale sur le thème d'Amicalement Votre ou encore lors de l'incroyable passage sur le My Way version Shirley Bassey. Mais j'ai déjà été trop long et j'espère vous avoir donné l'envie de découvrir ce film qui m'a mis un véritable uppercut !

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