La revanche du faible sur la tyrannie de l'égoïsme et du matérialisme

Il est parfois certains films (assez souvent en fait dans mon cas puisque je m'échine la plupart du temps à esquiver les bandes annonces et news diverses et variées sur les productions cinématographiques à venir, pour garder un esprit et un oeil vierges) que l'on va voir, non pas en raison d'une attente particulière ou d'une "hype" médiatique à leur sujet, mais simplement pour leur casting.
Ce fut le cas pour moi concernant "Nocturnal Animals" de Tom Ford, qui s'offre le luxe d'avoir à l'affiche des comédiens que j'affectionne particulièrement, à savoir Amy Adams (magistrale dans "Premier contact", également à l'affiche au moment où j'écris cette critique!), Jake Gyllenhaal (qui m'épate régulièrement depuis le fantastique "Donnie Darko"), et l'excellent Michael Shannon (que j'ai découvert un peu tardivement dans la série "Boardwalk Empire") qui enchaîne au cinéma les rôles marquants. Ajoutez à ces trois noms un titre aussi intrigant et une catégorisation dans le genre "thriller", et ma curiosité fut fortement piquée!


Malheureusement, cette "piqûre" fut assez rapidement un lointain et amer souvenir devant le film lui-même...


Tout commence cependant plutôt bien dans ce film aux récit enchâssés. Susan Morrow (Amy Adams), une galériste d'art mariée d'une quarantaine d'années, à la beauté et à la vie résolument froides, reçoit le manuscrit de son ex-mari, Edward (Jake Gyllenhaal) qu'elle n'a plus revu depuis près de vingt ans, accompagné d'une invitation à dîner. Le roman dépeint le calvaire de Tony (également joué par Gyllenhaal), de sa femme et de sa fille, tous trois pris à partie de nuit par une bande de "red-necks" sur une route perdue de l'Amérique profonde. Ce livre va la chambouler et faire resurgir des souvenirs et des sentiments qu'elle croyait morts et enterrés.
Après un générique d'entrée que je ne dévoilerai pas ici, mais qui marquera profondément les esprits, mêlant, avec une virtuosité certaine, beauté et laideur dans un cocktail de "grotesque" au sens noble du terme, c'est donc dans un montage alterné que vont se dévoiler ces trois histoires interdépendantes.
Et cela fonctionne plutôt bien dans un premier temps... C'est excellemment mis en images, notamment lors d'une séquence de poursuite automobile hautement stressante (dont certains plans rappelleront "Boulevard de la mort" ou encore "Drive"), qui suscite l'empathie envers ces personnages dont on ne sait rien jusque-là. De même, les premières réactions de Susan à la lecture du roman de son ex, et les souvenirs liés à leur histoire passée, sont saisis par l'oeil sûr d'un réalisateur qui semble savoir précisément où il veut aller et emmener des spectateurs au bout du suspense.


Mais ces promesses se révèlent assez rapidement plutôt vaines et mensongères. D'abord par un traitement de Tony, personnage principal du roman, qui le rend très vite antipathique voire méprisable. Sa faiblesse de caractère met à distance, et décrédibilise les développements ultérieurs de l'intrigue. Ensuite, l'intrigue elle-même, et cette fois-ci non seulement dans le roman d'Edward mais dans l'ensemble du film, est vue, revue, cent fois déjà racontée, et donc hyper prévisible! Et c'est là un écueil majeur pour un film dont l'ambition est non seulement de susciter émotion et réflexion, mais aussi de maintenir le spectateur en alerte, "on their toes" comme on dit en Anglais, à l'affût de rebondissements palpitants et de révélations fracassantes... Ici au contraire, rien ne surprend si ce n'est la beauté de la photographie (dont la direction est assurée par Seamus McGarvey) et une jolie science du cadrage.
Autre point négatif qui plombe l'histoire, le montage alterné, qui fonctionne plutôt bien au début, devient lui aussi problématique passé la première demi-heure de film. Il installe une ambiance un peu languissante, s'auto-fascine pour la beauté plastique de l'oeuvre, mais nuit ce faisant à la rythmique indispensable pour conserver l'attention éveillée du public. Ce qui rejaillit mécaniquement sur les émotions que le réalisateur ambitionne de susciter chez ce dernier.


Conséquence de toutes ces faiblesses, le propos du film, pourtant intéressant lorsqu'on se penche sur sa symbolique, peine à trouver un écho véritable et clair en définitive. L'analyse des caractères des différents personnages, réels ou fictifs, et tous excellemment interprétés par des acteurs investis, qui se veut en fait une critique d'une certaine culture de l'immédiateté et de la consommation effrénée d'un monde moderne dans lequel la rentabilité et la sécurité sont portées au statut de valeurs cardinales, souffre terriblement d'un symbolisme un peu sybillin (à l'exception notable d'un tableau un peu "gros sabots" sur lequel un gros plan s'attarde au milieu du film), d'un montage qui se veut sophistiqué mais dilue la tension dramatique, de personnages auxquels il est difficile de s'identifier, d'un manque d'originalité scénaristique, et d'un esthétisme qui prend le pas sur une histoire qui aurait dû être beaucoup plus passionnante.


Cela dit, mon avis et mon ressenti semblent assez loin d'être représentatifs de ceux de la majorité des spectateurs de "Nocturnal Animals", dans lequel beaucoup voient une oeuvre à clés subtile et puissante. Je n'ai pour ma part pas été personnellement touché comme nombre d'entre eux par cette histoire qui traite aussi beaucoup du regret... Et ce genre d'émotion est évidemment très subjectif.
Je retiens tout-de-même une esthétique très soignée et par moments assez fascinante, une distribution impeccable, et une ambition intéressante mais malheureusement trop mal servie au niveau scénaristique et rythmique pour être à mes yeux plus qu'un film simplement "moyen". Dommage...

CharlesLasry
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le 19 janv. 2017

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Charles Lasry

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