L'Apocalypse approche. Dieu envoie un message à Noé afin qu'il construise une arche dans laquelle il sauvera les animaux et sa famille du Déluge qui nettoiera la Terre de la méchanceté des hommes.
Adapter l'histoire de Noé racontée originellement dans la Bible et le Coran aujourd'hui relève du défi, plus de 80 ans après la première et jusqu’ici dernière adaptation hollywoodienne du mythe en live-action : L'Arche de Noé (M. Curtiz, 1928), un film titanesque produit par Warner. Cette fois-ci, ce ne sera plus le récit classique tel qu'on peut le lire dans la Genèse qui fera foi, mais une adaptation (beaucoup) plus libre.
Embarqué dans cette galère, Darren Aronofsky brode d'autres intrigues, ajoute de nouveaux personnages et modifie la destinée d'autres. Le réalisateur semble vouloir densifier son matériau de base : par exemple, l'évolution du personnage imaginaire d'Ila (fille adoptive de Noé qui aura un enfant avec l'un de ses fils) a clairement pour but de proposer autre chose que la simple histoire de l'arche. Ainsi, le film tente de poser des questions actuelles liées à la véritable histoire de Noé comme à celle fictionnelle : la présence d'Ila est en accord avec la question de l'avortement – sujet tabou chez l’Église catholique – ou même du féminisme et du refus du paternalisme. En parallèle, le film propose une réflexion sur notre idée de la justice (divine et morale) en créant deux dilemmes (l'infanticide et le parricide) ; la sauvegarde des animaux comme le combat écologique de nos jours ; mais surtout notre croyance en Dieu (Dieu est ici distant et envoie ses messages sous forme de rêve) et la mauvaise interprétation de messages divins qui peut engendrer guerre, attentat, meurtre… , comme l'atteste le time-lapse, chronologie de la violence humaine à travers les siècles.
Cependant, ces questionnements modifient en profondeur les personnages : Noé est montré comme un homme froid et injuste, il refuse catégoriquement de prendre d'autres passagers, il laisse un de ses fils sans femme, il veut même tuer l'enfant que porte Ila. Aronofsky qui travaille beaucoup la philosophie et la caractérisation de ses personnages (le catcheur déchu de The Wrestler, la danseuse à l'esprit torturé de Black Swan… ) frôle le blasphème ainsi que l'incohérence lorsque Noé veut tuer la fille d’Ila sous le prétexte de ne plus reproduire l'espèce humaine : comment éradiquer la méchanceté en tuant l’innocence même ? Mais c'est l'aspect fantastique (les Veilleurs faits de pierre et la peau de serpent magique) qui est le plus inadapté dans ce film : la scène de bataille entre Noé et les Veilleurs contre Toubal-Caïn et son armée – qui sur le plan plastique est extraordinaire, constituant sans doute une référence pour les futures (super)productions bibliques – est étonnement mise en scène comme la bataille du Gouffre de Helm dans Le Seigneur des Anneaux.
Le casting peut lui aussi laisser pantois : Russell Crowe en Noé est plutôt convaincant mais transporte sa carrière avec lui, au lieu d'être le patriarche dévoué à Dieu, il distribue les coups durant la bataille comme Maximus dans Gladiator (2000). Les jeunes acteurs ne sont pas au niveau : Emma Watson et Logan Lerman n'ont clairement rien à faire ici. Le salut vient de Jennifer Connelly – qui a déjà joué dans un film d'Aronosky, Requiem for a dream (2000) – fragile dans son rôle de mère, puis de seconds rôles satisfaisants : Ray Winstone en belliqueux Toubal-Caïn et Anthony Hopkins en sage et bienveillant Mathusalem.
Au final, un film religieux est plus que jamais un acte philosophique, et même politique. Aronosky nous présente donc un Noé des temps modernes, un miroir tendu à notre société occidentale entre déchéance et perte des repères.