La réalisatrice chinoise, Chloé Zhao, émigrée depuis 15 ans aux Etats Unis, est connue pour s'intéresser, dans ce qu'elle filme, aux laisser pour compte du golden system de l'oncle Sam, à celles et ceux qui vivent très à la marge de l'Américan way of life. Dans The rider, sorti il y 4 ans, elle s'intéressait au cowboy Brady Jandreau, champion de rodéo et dresseur de chevaux, à qui il est désormais interdit d'exercer son métier suite à un grave accident.
Dans Nomadland, elle adapte le récit de la journaliste Jessica Bruder qui a passé 3 ans à rencontrer puis à vivre en complète immersion avec les vandwellers (mode de vie consistant à vivre à temps plein ou à temps partiel dans un véhicule, généralement une camionnette qui a été modifiée avec des équipements de base), considérés pour certains comme les nouveaux hobos (travailleurs sans domicile fixe des années 30 se déplaçant de ville en ville, le plus souvent en se cachant dans des trains de marchandises, et vivant de travaux manuels saisonniers et d'expédients), perpétuant ainsi une tradition américaine qui poussent une partie de la population à partir sur la route, suite à une crise économique majeure (le crach boursier de 1929 pour les hobos, la crise des subprime pour les vandwellers).
De cette expérience, Jessica Bruder a écrit un livre, servant ici de base à une œuvre de fiction.
Dans un véritable souci d'honnêteté, Chloé Zhao va au bout de son objectif. Puisqu'il s'agit de donner la parole aux exclu-es et aux marginaux, la réalisatrice va filmer ceux là même que la journaliste a suivi lors de son immersion : Linda May, qui ambitionne de se fixer un jour et de bâtir une géonef; Bob Wells dont la vie a radicalement changé depuis le suicide de son fils; ou encore Swankie, atteinte d'un cancer, et dont le dernier vœu est de retrouver la route de ses souvenirs les plus forts, vécus en kayak sur les rivières de l'Alaska.
Certains reprochent à Chloé Zhao d'être trop proche du documentaire (The rider s'inspirait grandement de la vie de son acteur principal, Brady Jandreau). Rien de tel ici : le personnage de Fern (Frances McDormand), inventé pour le film, veuve devenue vandweller après avoir été expulsée de chez elle suite à la fermeture d'une usine faisant vivre toute une ville, est suffisamment bien écrit et interprétée pour nous entrainer dans son histoire, fictive, et à travers elle nous faire découvrir les multiples histoires, réelles, des seconds rôles dont elle va croiser la route.
Le film a également le mérite de mettre en avant un casting de plus de 50 ans, au moment où le cinéma hollywoodien subit une polémique pour confier des rôles de femmes âgées à des actrices beaucoup plus jeunes, comme s'il était indécent (au nom du glamour et du sexappeal) de montrer la vieillesse, surtout féminine, au cinéma. A ce titre, Frances McDormand (64 ans), étoile du cinéma indépendant US, est une exception.
Enfin, fidèle à la tradition des road movie américain, Nomadland nous régale par la majesté des paysages (Nevada, Arizona), les grandes étendue des badlands qu'affectionne la réalisatrice. On quitte le film singulièrement ému.
Au travers du regard empreint d'incertitude de Fern, on ressent l'amitié, né des confidences échangées en plein désert, lors des veillées devant le feu, l'entraide et le partage, le réconfort de la main tendue, mais aussi la solitude, lorsque Fern s'éternise dans le campement vide après que tous soient repartis, ou dans l'ambiance glaciale du van le soir du nouvel an, et la nostalgie quand elle ressort les vieilles photos du passé (qui les regardera après elle ?). Mais plus que cela, lorsque Fern s'attarde à contempler le large horizon au coucher du soleil, on ressent la liberté. Cet appel puis ce besoin qui empêchent les nomades de se sédentariser.
Il faut relire Le loup et le chien de Jean de la Fontaine. Et bien entendu On the road de Jack Kerouak.