A défaut d'avoir trouvé les deux premiers films de Jordan Peele parfaits je les avais trouvés passionnants, car ils semblaient pouvoir être les balbutiements d'un véritable projet, d'une œuvre qui ferait progressivement sens. En cela ce "Nope" n'a fait que confirmer cet espoir, Jordan Peele continuant à creuser un sillon tout en le renouvelant, en l'ouvrant à un public potentiellement plus large.
En matière de cinéma mon rêve de toujours est le suivant : croiser les mêmes personnes quel que soit le lieu fréquenté, car malheureusement ce n'est jamais le cas, les gens que je connais le mieux, ceux des cinémas indépendants, ne se rendant pas dans les multiplexes, et de même dans l'autre sens, à part quand les salles dites art et essai demandent et obtiennent des dérogations afin de passer par exemple du "Dune"ou du James Bond pour remplir leurs caisses. Phénomène bien plus courant depuis la crise sanitaire.
Je ne m'étendrai pas sur les raisons de ce phénomène, endémique et complexe, je vais uniquement m'arrêter ici sur l'aspect artistique qui est après tout le maillon premier de la chaîne, qui pourrait peut-être permettre au système tout entier de changer (Vœu pieux je le concède). Et c'est justement pour cette raison que ce qu'a initié Peele me passionne, celui-ci me semblant être l'archétype du cinéaste réconciliateur. Apte à utiliser la puissance des grands studios pour mieux la détourner, à imposer un cinéma particulièrement personnel, avec une réelle réflexion et un message politique puissant. Donc le mariage, si rare, entre blockbuster et vision d'auteur.
Peele réfléchit à ce qu’est le cinéma, ce qu’il représente, ce que son passé apporte dans nos plaisirs actuels, alors avec ce "Nope", nouveau titre énigmatique qui porte en lui-même la volonté de faire jouer le spectateur, il convoque en permanence l'enfance, les souvenirs, les bonheurs, les peurs qui vont avec. Il réactive nos terreurs primaires, il tente à sa manière de nous ramener à l'état de béatitude que nous avons connu en découvrant "E.T." en famille dans une salle de cinéma. Je dis "en salle" car c'est probablement à la génération qui a pu connaitre ces moments qu'il s'adresse principalement, celle qui ne se retrouve plus dans des produits survitaminés, où le climax n'existe plus puisque TOUT est climax, où le questionnement n'existe plus puisque chaque scène sert à expliquer la précédente. Chez lui tout est tourné vers l'imaginaire, vers la faculté à voir autre chose que le protagoniste, à accepter, comme le dit ici le chef op, que « Tout ceci est délicieusement stupide » (et qu'on est pourtant ok pour y croire), qu'on tourne une manivelle pour faire fonctionner une caméra IMAX, qu'on est prêt à mourir pour obtenir la luminosité parfaite.
Le film parle de beaucoup de choses, entre autres de maltraitance animale, d'une époque où ce que l'on fait n'a que peu d'importance tant qu'on passe chez Oprah, mais avant tout de cinéma (Pas de screener dégueulasse sur un écran de 12 pouces hein) comme objet de rêve, comme lieu de tous les possibles, comme l'endroit où on gobe des mouches à force d'avoir la bouche ouverte, où on retient son souffle parce que l'électricité se coupe alors que tous les films du genre nous ont pourtant fait le coup, où on est collé au siège le temps d'une incroyable scène avec un chimpanzé qui fait le premier check (sanglant) de l'histoire. Sans oublier de se demander si on fait toujours un film pour de bonnes raisons...
Bref Peele fait du Spielberg, du Shyamalan, il fait du ciné régressif et fun, il a compris que tout comme la haine est ce qui se rapproche le plus de l’amour le cri de terreur cousine avec le rire, que la course d'un cheval, mécanique ou non, est sublime en Cinémascope, qu'assis dans un fauteuil rouge l'enfant que nous redevenons alors voit ce qu’il a envie de voir. Une soucoupe volante, un animal venu d'ailleurs, qu'importe...
Et le cinéaste fait ce qu'il a envie de faire, même un western où les Noirs seraient les héros et possèderaient un ranch, mais qui se clôturerait par une musique qu'aurait imaginé un enfant d'Ennio Morricone. Parce que connaître le passé c'est comprendre le présent...