C’est souvent à contrepied qu’on attend à présent chaque œuvre de Jordan Peele, qui mêle son exploration d’auteur au film de genre, dont le goût pour l’horreur vient habilement saisir son audience devant un commentaire social. Après le fabuleux succès de « Get Out », de l’home-invasion « Us », ce dernier n’a pas hésité à rapporter des fragments fantastiques dans la série « Lovecraft Country » ou encore dans une reprise de la « Twilight Zone ». Il est dans un entre-deux monde permanent, où il est capable de s’affranchir des codes hollywoodiens, ou de les détourner, afin que le frisson règne dans un bain de réflexion. La démarche est bienvenue et il tente de réitérer l’exploit dans un cadre encore plus complexe, au détour d’un discours méta sur les ambitions du divertissement.


Une délicieuse « Rencontre du troisième type » se dessine et ce n’est pas le seul hommage à Spielberg que l’on retrouvera, car « La Guerre des Mondes » et « Les Dents de la Mer » seront également portés à l’étude. D’autres plans référencés n’échapperont pas à l’œil des plus avisés (Shyamalan, Villeneuve, Katsuhiro Ōtomo). Ce sera toujours dans cet élan qu’il redessine un monde à coup d’effets visuels impressionnants et à coup de tensions bestiales, notamment dans une première partie pleine de justesse. Les divers flashbacks contribuent à cette atmosphère poreuse et porteuse d’une satire cinglante sur la place des afro-américain dans le cinéma. Quel héritage leur reste-t-il ? Comment subsister dans ce rêve américain, que l’on ne cesse de scruter au loin ? L’intrigue y répond de manière à éparpiller ses indices, qu’il convient de réorganiser mentalement, tout le long du périple d’une famille d’éleveurs de chevaux.


La violence appelle au deuil et le deuil appelle à restaurer la mémoire des défunts. Il n’est donc pas surprenant de voir le film s’ouvrir sur un drame survenu lorsqu’un tournage télévisé, où l’on capitalise sur ce qui est de nature indomptable. La nature humaine, de même que la nature animale, n’est apprivoisable uniquement dans une relation de confiance. Chose que l'on viendra encore un peu plus discuter dans un tournage de clip publicitaire, où OJ Haywood (Daniel Kaluuya) peine à rassurer son étalon Lucky. En parallèle, sa sœur Emerald (Keke Palmer) vient l’assister dans sa démarche, qui ne témoigne que de sa résignation. Pourtant, ce qui les attend autour de leur ranch est de nature à déstabiliser leur quotidien, les poussant ainsi à traquer des phénomènes surnaturels, afin de les porter à l’écran, notion qui reviendra périodiquement dans le récit, notamment sur l’utilisation de l’IMAX. C’est pourquoi la présence du cinéaste Antler Holst (Michael Wincott) est de mise, servant ainsi le discours erroné du cinéma hollywoodien qui se consume à force de vouloir capturer l’impossible, avant d’essayer d’en comprendre les enjeux, voire les sentiments.


Mais avant que l’on ne desserre l’étau dramatique dans un climax à ciel ouvert, c’est dans les caricatures du genre que l’on se plonge, dans le seul but de nous conduire au meilleur panorama possible. Il questionnera ses personnages sur le prix à payer et le spectateur par la même occasion, qui devra choisir où poser son regard, afin de ne pas manquer les vertus de « Nope ». Les ambitions du directeur Jupe (Steven Yeun), ancien enfant-star, viendra compléter le portrait d’une nation qui ne reconnaît pas toujours l’abus et l’exploitation qu’il fait subir à son audience, obnubilée par le spectaculaire. Le film s’en est pourtant passé une bonne heure et avec succès. Alors que Jordan Peele attire malicieusement le regard du spectateur vers le ciel, il sollicite la réflexion de ce dernier dans les coulisses de ce qui ne se voit pas. Il nous pousse ainsi à interpréter les signaux, coûte que coûte, quitte à en perdre quelques-uns au passage, car le but du jeu est bien évidemment de se démarquer la production automatisée d'un Hollywood, qui règne sur des échecs et des sacrifices que les héros du film ne sont pas forcément prêts à assumer.

Cinememories
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le 29 déc. 2022

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