Et si les clés de compréhension du nouveau film de Jordan Peele nous étaient données dès le début de son intrigue, lorsqu'une équipe de tournage, incapable de maîtriser un cheval, décide de s'en passer et de le numériser à la place ? En effet, cette scène en dit long sur le système hollywoodien, trop fatigué pour essayer de dompter la nature, préférant la remplacer artificiellement pour mieux la contrôler et l'exploiter.
N'appréciant pas ces pratiques et cherchant à les combattre, Peele met au point dans Nope une créature tellement indomptable que même la technologie se révèle incapable de se l'accaparer pour la reproduire sur grand écran. Ainsi, ce monstre peut littéralement aspirer dans sa « chair » toute personne tentant de le filmer voire même, de poser un oeil sur lui. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que l'une de ses principales victimes soit un parc d'attractions sur le thème du western, ce type de lieu incarnant à merveille le temple de la consommation et du spectacle. Ici, le Far-West et toute sa mythologie se retrouvent dévoyés, remplacés par des décors factices et des activités récréatives créées dans l'unique but de captiver l'audience (et par ricochet de la faire consommer). Ce choix de décor est également une manière pour Peele de rappeler que le cinéma fut autrefois une attraction de fête foraine, faisant donc partie intégrante de ce système problématique.
Cependant, malgré les dangers que représente la créature, les héros du films décideront tout de même de la capturer (sur leurs caméras) car finalement, eux comme Peele sont à l'image du héros Ulysse. S'il savent qu'il est mauvais et dangereux d'écouter le chant mortel des sirènes, il ne peuvent toutefois s'empêcher d'y prêter l'oreille.
À partir de ce moment-là, la question se pose alors de savoir comment filmer cette créature, imperméable au système hollywoodien et à ses modes de tournage. La réponse est simple : revenir aux bases du cinéma et plus précisément aux techniques des pionniers, ces personnes qui au début du siècle dernier ont débarqué dans un Hollywood encore sauvage et ont dû s'adapter à la nature pour réaliser leurs westerns. On se rappelle par exemple de Cecil B. DeMille en 1913 qui tournait ses films dans une petite grange au milieu des vallées de Los Angeles.
Pour le monstre de Nope, on va donc le filmer avec une vielle caméra à manivelle dans un décor réel en présence d'un cascadeur/dresseur prêt à prendre des risques considérables pour assurer le succès de l'opération. Loin du confort des studios, le tournage prend des allures d'Odyssée, rappelant que le cinéma doit d'abord être considéré comme une aventure trépidante et non comme une machine parfaitement huilée exploitant les images à sa guise.