Vu lors d'une projection à la suite d'un cours sur le cinéma américain contemporain (70-90) avec de la fatigue et un léger mal de crâne.
On nous l'a décrit comme l'œuvre la plus importante de son actrice, un succès à l'époque qui se serait perdu dans les méandres de l'histoire du cinéma. En l'ayant vu, je peux comprendre pourquoi.
Le film traite du milieu ouvrier, ici dans le textile, ainsi que de la vie médiocre des habitants d'une petite ville où va se jouer un début de rapport de force avec l'arrivée d'un délégué syndical. L'atmosphère s'inscrit parfaitement dans le Nouvel Hollywood, le verni moral apposé anciennement sur les figures de protagoniste (ou du moins leur caractère grandiose, romanesque qui rendait magnifique leurs imperfections ou leur mal-être dans le Hollywood Classique comme par exemple dans A l'est d'Eden (1955) d'Elia Kazan) s'est effrité. Cela a lieu dès l'introduction, où les images magnifiques de l'usine, des filaments de tissu blanc tendu, du parallélisme machinique, qui s'enchaînent en même temps que les fragments photographiques du passé de l'héroïne, le tout bercé par une musique somptueuse, cèdent place à la réalité de la vie ouvrière avec un son assourdissant qui oppressera le spectateur tout au long du film et qui révèlera l'idéalisme onirique du montage introductif.
La beauté des images transformées s'est effritée et les figures auxquels le film s'ancre vont poursuivre ce naturalisme noir et morose amorcé par l'introduction. Les personnages vivent en sous régime, l'amour véritable ne peut plus exister, toutes les relations sont fragmentées et empreintes d'une sorte de désespoir. Ainsi quand deux morceaux de couples, disloqués, se rejoignent, nous ne sommes pas sous le signe de l'espoir. Une scène qui témoigne très bien de cela est le passage d'un aveu d'échec désespéré au bord d'un lac, à un mariage, lié par une coupe éclair, qui associe la relation naissante à quelque chose de bancal, peu porté par le désir. Cette utilisation noire de la coupe qui crée du discours en reliant 2 éléments ensemble de façon abrupt rappelle d'ailleurs ce qu'on peut trouver 4 ans auparavant chez Kubrick dans Barry Lyndon (1975) et sera réutilisé par le film de façon cruel quoiqu'attendu pour montrer la violence d'un décès.
Seulement, à la différence des quelques films que j'ai vu du Nouvel Hollywood, ici le fond coïncide avec la forme, créant un rythme assez lent, qui peine à embarquer le spectateur et qui s'enferme dans un naturalisme fort qui s'éloigne donc des exubérances, des phantasmagories de mise en scène qui font la force de films comme Le Lauréat (1967) de Mike Nichols, Network (1976) de Sidney Lumet ou encore d'un Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese qui chacun à leur manière garde une part de noirceur même si elle est teinté de comédie dans le premier et plutôt jubilatoire dans le second.
Ainsi, comme cela pouvait être le cas dans Samedi soir, dimanche matin (1960) de Karel Reisz (film britannique traitant d'un jeune homme perdu et en rébellion dans une petite ville industriel anglaise), on se sent pris dans une tranche de vie un peu longue et un peu ennuyeuse au départ mais qui possède quand même ses moments importants. Outre ceux dressés précédemment, on a notamment le climax militant du film qui le tire vers le haut, avec la suppression progressive de ce qui faisait souffrir les personnages et le spectateur depuis le début du film, le son des machines et le climax émotionnel où l'héroïne se confie à ses enfants tout en leur inculquant la nécessité de lutter pour pouvoir mieux vivre.
Néanmoins, la noirceur ne s'évanouie pas, le syndicat provocateur d'un changement salutaire a aussi été la cause du malheur et de la souffrance des protagonistes par leur implication stakhanoviste et mortifère, au final, Norma paye le prix de son renoncement à un amour véritable en laissant filer l'objet de son désir.