Lucie a 15 ans. Comme beaucoup d'ados de son âge elle couvre les pages de carnets de ses pensées, émotions, déboires, de ses dessins aussi.
Sauf qu'à l'inverse de beaucoup d'entre eux, elle a un talent certain pour l'écriture, une imagination intarissable et surtout énormément de choses à raconter. Elle vit seule avec son père William, sa mère s'est tuée dans un accident de moto, elle a menti sur son âge pour avoir un petit boulot qui permet d'arrondir les fins de mois. Un peu rondelette et mal fagotée elle n'est pas très populaire au collège et ne fait rien pour arranger la situation. Elle est aussi très attirée par Etienne dont les taches de rousseur sur les bras la bouleversent. Mais rien n'est normal dans la vie de Lucie. Son père est atteint de sclérose en plaque et les crises de cette maladie aux troubles de plus en plus handicapants réduisent peu à peu sa motricité. C'est Lucie qui gère tout dans leur logement capharnaüm, les courses, les repas, le ménage mais aussi la préparation du pilulier de William qui passe son temps à fumer des joints, jouer en ligne à des jeux vidéo et attendre sa fille, son bébé qu'il adore. Entre eux deux le lien est fort et ils partagent entre autre un goût prononcé pour les films d'horreur franchement gores et donne à Lucie beaucoup d'idées pour justifier ses retards ou le fait qu'elle s'endort en cours.
Je m'empresse de vous parler de ce "petit" film qui m'a enchantée et émue aux larmes avant qu'il ne disparaisse. Il risque de ne pas faire grand bruit, isolé, presque égaré entre des mousquetaires et un plombier.
Après l'époustouflant Swagger Olivier Babinet revient à la fiction et nous plonge dans le quotidien franchement pas réjouissant d'un couple peu ordinaire, un père et sa fille. Il s'appuie sur la pièce de théâtre de David Greig Monster in the hall et évoque ainsi son film : "une goutte de Miyazaki dans les frères Dardenne". Et c'est vrai qu'il y a du social, du teen-movie et du fantastique dans cette chronique sociale un peu lugubre mais jamais misérabiliste parce que Lucie et William savent s'y prendre pour ne pas noircir davantage le quotidien.
Mais lorsque les résultats scolaires de Lucie jusque là très bonne élève chutent, la principale du collège se sent dans l'obligation de faire intervenir un(e) assistant(e) social(e). Ce rendez-vous programmé sur le calendrier révolutionne la maisonnée qui doit s'adapter pour accueillir le mieux possible ce visiteur indésirable. William est de plus en plus dépendant de Lucie et cette dernière risque d'être placée en foyer, ce que ni l'un l'autre ne souhaite. Cette affaire n'est pas prise à la légère par Lucie et William et insuffle un véritable suspense au film. Alors qu'elle est tout occupée à organiser au mieux le rendez-vous, Etienne se rapproche de Lucie et lui propose un étrange marché (que je me garde de vous révéler) pour qu'il puisse prouver à tous les élèves du collège qu'il n'est pas gay. Il se maquille outrageusement, s'habille étrangement et il n'en faut pas plus pour être la risée des autres.
Vous l'avez compris, les personnages principaux de ce film tendre et délicat n'entrent pas dans les cases et les impératifs de la normalité. Un peu fantasques et hors normes, le réalisateur les approche pourtant avec beaucoup de réalisme et surtout une grande humanité même si Lucie le dit en voix off : "il est aussi question de honte". Et ses appréhensions sur l'avenir donnent lieu à des visions inquiétantes, cauchemardesques filmées comme dans les films d'horreur. La tendresse et l'émotion débordent pourtant de partout dans ce film sombre et lumineux. Mais aussi l'humour, la fantaisie. Quand les personnages sont prêts à sombrer dans la tristesse ou simplement le découragement, une pirouette les reconnecte à leur inépuisable sens de la résistance.
Jusqu'à la dernière minute on est accroché au destin de cette petite jeune fille courageuse et audacieuse. Justine Lacroix déjà aux prises avec un autre papa belge maladroit et border line dans C'est ça l'amour est une nouvelle fois étonnante et ici elle occupe la première place et impressionne par sa présence et l'évolution étonnante de son personnage (également physiquement). Son papa de cinéma est Benoît Poelvoorde étonnamment et merveilleusement à l'aise dans ce rôle de père fragile, pas très raisonnable mais d'une tendresse dingue. Avec son improbable look de baraki (oui j'aime vous apprendre des mots nouveaux (voir stégophilie récemment)), il joue de son corps malade, douloureux, un peu flasque et de son regard pas dupe sur la situation difficile, il n'a jamais je crois été aussi bouleversant.
Ne ratez pas ce couple qu'on ne peut s'empêcher d'aimer tout en craignant beaucoup pour lui.