Noroît
5.7
Noroît

Film de Jacques Rivette (1977)

Dans un château-fort situé sur une île au large de la Bretagne vit une communauté se livrant à la piraterie.Elle est dirigée d'une poigne de fer par Giulia,mais des dissensions minent la bande,et ça ne va pas s'arranger avec l'arrivée de Morag,embauchée comme garde du corps par Giulia mais qui en réalité veut la tuer pour venger son frère,lequel a été supprimé par la fine équipe des insulaires.Jacques Rivette ,disparu en 2016,est une des figures emblématiques de la Nouvelle Vague mais ses films sont assez peu connus en dehors du cercle fermé de ses admirateurs.Il a parfois accompli quelques coups d'éclat,comme avec "La religieuse",qui fit scandale en son temps,ou "La belle noiseuse",avec Piccoli et Emmanuelle Béart,mais dans l'ensemble sa production est passée relativement inaperçue du grand public.Contrairement à ses potes de la NV Truffaut et Chabrol,il ne s'est jamais converti au cinéma commercial,et il n'est pas non plus devenu une star du film d'auteur comme son ami Godard.Et dans sa discrète filmo,"Noroît" est sans doute son oeuvre la plus ignorée.Il est vrai que ce n'est pas sorti en salles,et on parle même à son sujet de film maudit.Ca pourrait paraître logique vu l'aspect expérimental du truc,mais les distributeurs de l'époque en ont vu passer bien d'autres.Il s'agit de l'adaptation,très libre,d'une pièce de Cyril Tourneur,"La tragédie du vengeur",écrite en 1607.Rivette s'est entouré ici d'une solide équipe technique comprenant notamment le chef-opérateur William Lubtchansky,l'ingénieur du son Pierre Gamet,ainsi que des collaborateurs eux-mêmes cinéastes tels que le directeur de Production Marc Maurette et les assistants Bertrand Van Effenterre et Jean-Jacques Aublanc,tandis qu'il cosigne le scénario avec un autre réalisateur,l'argentin Eduardo de Gregorio.Et effectivement nous avons là un bel objet filmique.La photo de Lubtchansky est magnifique et rend justice aux beaux paysages bretons,son travail sur la lumière étant remarquable,alors que le travail de Gamet sur le son est d'une grande efficacité,le bruit des vagues notamment étant rendu de manière étonnante.Quant à Rivette,son sens du cadrage très sûr lui permet d'utiliser au mieux ses décors peu nombreux,qu'il rentabilise au maximum en explorant brillamment tous les recoins du château et l'espace de la lande bretonne.Mais ce bel écrin est largement gâché par ce qu'il contient.L'origine théâtrale de l'histoire est volontairement accentuée par le réalisateur,qui nous abreuve de scènes figées dans lesquelles des acteurs plantés comme des piquets font dans le récitatif et déclament des dialogues abscons.Mais ça ne suffit pas à Rivette,qui traite la pièce de façon moderne en y intégrant les codes du théâtre d'avant-garde.En résulte une histoire déconstruite,à laquelle on ne pige pas grand-chose hormis l'argument principal,à savoir la vengeance de Morag.Les personnages ont tous des comportements et des réactions incompréhensibles et profèrent des phrases souvent hermétiques.Les anachronismes sont également présents,de sorte qu'on ne sait pas à quelle époque se situe l'action.Un château meublé à l'ancienne,des épées,des déplacements à cheval,mais aussi des costumes flashys psychédéliques typiquement seventies.De temps en temps,on se met à gueuler ou à se battre,sans qu'on sache trop pourquoi,tandis que généralement les frères Cohen Solal traînent dans un coin de l'écran en improvisant une musique à la limite du supportable mêlant le médiéval,l'indien et le dodécaphonique,alors que les protagonistes s'expriment parfois en français,parfois en anglais.Tout ceci est très lent,très long, assez ennuyeux,et ressemble beaucoup à un happening contre-culturel.Mais il parait que le film a une portée symbolique et brasse des thèmes du genre dualité,opposition et osmose entre la lune et le soleil ou autres branlettes intellos inaccessibles au commun des mortels.Derrière tout ce folklore se profile cependant une tragédie bien classique,de type shakespearien,où l'on retrouve tous les éléments du genre,le pouvoir qui rend fou,la manipulation,les meurtres,les complots,la vengeance,sur fond de sexualité déviante post 68 à base de détournement de mineure et d'inceste,avec l'ombre du saphisme qui plane sur le tableau.Car nous sommes aussi dans le féminisme militant,les personnages dominants étant tous des femmes et les hommes n'étant que des subalternes servant aux jeux de l'amour et de la guerre.Dans ce contexte acrobatique,les actrices parviennent miraculeusement à briller,principalement Geraldine Chaplin et Bernadette Lafont,superbes.En plus de Lafont,actrice fétiche de Chabrol,une autre actrice estampillée Nouvelle Vague est présente en la personne de Kika Markham,vue notamment dans "Les deux anglaises et le continent" de Truffaut.Il y a aussi Humbert Balsan,cet acteur qui deviendra producteur et se suicidera en 2005,et une adolescente nommée Elisabeth Medveczky,qui apparait au générique sous le nom de son père,un sculpteur,mais qui continuera,brièvement,sa carrière sous le nom d'Elisabeth Lafont,car elle est aussi la fille de Bernadette.Elle ne percera jamais dans le milieu,contrairement à sa jeune soeur Pauline,étoile filante morte accidentellement en 88 à l'âge de 25 ans.

pierrick_D_
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le 29 oct. 2018

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