Fidèle à son style en apesanteur et pourtant si près des corps et des intérieurs qu'il embrasse par ses angles alambiqués et sa lumière éclatante, Wong Kar-Wai lâche son spectateur dans son univers sous forme de scènes aléatoires, de fragments éclatés, d'une histoire qui peine à démarrer et rend difficile la compréhension.
Il y a évidemment la beauté à hurler des acteurs magnifiés par les cadres, costumes, décors et lumières du cinéaste, la tension sexuelle, l'animalité de certaines séquences physiques sublimement chorégraphiées, le tout dans un univers quasi exclusivement nocturne et écrasé sous une chaleur moite anesthésiante. Il y a la description autant attachante qu'ironique d'une jeunesse des années 60 en manque de repères, comme des âmes perdues qui gravitent autour de l'hypnotisant Yuddy (le regretté Leslie Cheung), héros aussi fascinant que détestable, bloc d'égoïsme dont la belle gueule assurée qui fait tourner les têtes viendra bientôt se confronter à la dure réalité dans une deuxième partie de récit qui l'emmènera aux Philippines à la recherche de ses origines.
Malgré de vraies fulgurances de beauté (on retiendra par exemple les belles séquences de balade nocturne entre les personnages d'Andy Lau et Maggie Cheung) et des comédiens au diapason, le film manque sa cible et provoque rarement l'émotion, la faute à la distance paradoxale qu'il prend sur son récit (malgré ses gros plans fréquents), son style parfois brouillon, et la sensation d'un fil narratif introuvable et dissolu.
Si le portrait d'amants blessés est réussi, le récit initiatique, où l'on se blesse, se cherche, se trouve, s'aime, et disparaît en ne laissant derrière soi que souffrance, manque souvent sa cible, malgré l'énigmatique et prometteur plan final sur un Tony Leung impérial.