« Nos batailles », il y a quelque chose de volontairement collectif dans le titre du film de Guillaume Senez qui nous touche avant même la première séquence.
Ces batailles, dont parle le jeune réalisateur franco-belge, ce sont celles que nous tentons de mener tous au quotidien, au travail comme dans notre vie privée, sur le plan social, économique, philosophique. Ce sont les batailles de notre nouvelle génération qui aspire à tout au risque de s’écrouler en route car ce « tout » pèse lourd.
Ce « tout » Laura ne peut plus le porter seule. Elle a beau dire à Eliot, son fils, que les histoires finissent toujours bien, on sent dès sa première scène qu’elle n’arrive plus à s’en convaincre. Elle s’effondre d’abord physiquement… avant de simplement disparaître ou plutôt… fuir car comme le souligne un policier à Olivier, le mari de Laura, une femme qui part en emportant ses affaires et sa trousse de maquillage ne peut être qualifiée de « disparue ».
Pour ses deux enfants et leur père, Olivier, le départ est aussi inattendu que brutal. Et pourtant, à y regarder de plus près, on comprend qu’il n’a rien d’anodin. Il ne s’agit ni d’un fait divers ni de la fin d’un couple : il s’agit d’une femme qui craque et préfère partir avant de, peut-être, commettre l’irréversible.
Le film s’ouvre en effet sur un suicide ; celui d’un collègue qu’Olivier ne parvient pas sauver d’un licenciement. Cette bataille sociale qu’Olivier mène tous les jours auprès de ses collègues ouvriers et de ses amis syndicalistes, en contre maître attentif, le rend plus distrait à l’égard de sa famille qui, pour lui, « va bien ». Lui qui a toujours le mot juste dans son boulot et n’hésite pas à monter au créneau pour ses collègues, n’a pas su voir la détresse de sa compagne, qu’il ne voyait plus qu’en coup de vent, soit le matin très tôt, soit le soir très tard, avant et après le travail, en peu comme un interstice entre sa vie d’homme et ce paysage familial, en toile de fonds.
Olivier n’est pourtant pas un plus mauvais père que les autres. En tout cas, il n’est pas pire que le sien. Il se heurte seulement à une génération nouvelle de femmes, qui se donne le droit d’exister au-delà de cette cellule familiale que lui-même voudrait épanouie sans y contribuer à plein temps.
Comme lui explique sa mère « moi aussi j’ai pensé à partir ». Et à Olivier de lui répondre « oui mais tu ne l’as pas fait, c’est toute la différence » …
La différence ce sont effectivement ces femmes que nous fait découvrir le film de Guillaume Senez. Il s’agit de Betty la sœur d’Olivier qui fait le choix de la vie d’artiste et accepte ainsi, une vie « précaire », sans argent, sans enfants, sans attaches. Elle aimerait certainement tout concilier mais cela impliquerait très certainement de s’oublier un peu en route … s’oublier, c’est ce qu’a fait pendant 20 ans Claire, une collègue d’usine d’Olivier, militante syndicaliste, qui finit par renoncer à cet engagement car cette humanité de plus en plus violente l’atteint trop. Quelque part donc, ce film nous dit que l’on ne peut pas mener toutes nos batailles en même temps. Face aux larmes de ces femmes qu’Olivier blesse malgré lui, se joue l’histoire d’un homme qui doit apprendre à fonctionner avec de nouveaux repères. Lui qui a toujours le mot juste dans son boulot, se retrouve un peu démuni, au point de demander à son fils de l’aider à assumer un quotidien un peu lourd pour un enfant de 8 ans.
Il y a néanmoins quelque chose de très lumineux dans l’histoire de ce père qui réorganise sa vie d’homme et apprend à choisir ses batailles. En effet, la force du film de Guillaume Senez réside à la fois dans la profonde humanité du personnage principal (Olivier est un homme bien) et dans son ancrage dans une réalité que le réalisateur n’hésite pas à porter en auto dérision et dans laquelle nous retrouvons la légèreté que nous opposons très souvent, par réflexe, à la violence du quotidien. Le personnage de Betty incarne parfaitement ce parti pris d’un second degré libérateur : elle qui offre un jeu de carte à son frère car quitte à être malheureux en amour, c’est le moment de faire sauter la banque ou lui lance, après avoir passée 1h dans la chambre des enfants pour les coucher « tu m’étonnes qu’elle se soit barrée ».
Cette humanité, nous la retrouvons surtout dans ce « Nos » collectif. En effet, dans ses batailles, Olivier n’est jamais seul. Sa mère, sa sœur, ses collègues mais aussi ses enfants sont là pour lui montrer la voie. Alors certes il est parfois un peu approximatif dans son éducation au quotidien, se trompe souvent, s’égare parfois, mais il finit par faire les bons choix, en prenant ses décisions en famille et de manière collégiale, sans renoncer à l’empathie.
A plus de vingt ans d’intervalle, il est d’ailleurs intéressant de comparer « Nos batailles » à un « Kramer contre Kramer » un peu jauni. Cette fois, le père de famille n’attend pas le retour de sa femme pour se battre pour son fils, il fait en sorte de construire une nouvelle vie de famille dans laquelle il occupe une vraie place afin de permettre à Laura de, peut-être, un jour, reprendre la sienne.