Pendant deux heures, j’ai été une adolescente. Je ne comprends pas qu’on décrive cette période de la vie d’une femme comme désagréable. Certes j’ai été bouleversée par un simple film, mais après tout il est certainement préférable de ressentir cela à l’apathie, l’anesthésie des sens.
Peut-être parce que j’ai la chance d’avoir été épargnée par les tracas habituels, les règles douloureuses, les seins asymétriques, les copines cruelles, les histoires d’amour éternelles qui durent deux jours. En tout cas, je suis admirative de mon cœur de midinette, reconnaissante pour ces longues minutes de chaudes larmes.
Je saisis assez mal le procès intenté à The Fault in our stars. Jouant sur un registre ne tolérant que la virtuosité, Josh Boone ne s’affranchit pas de toutes les difficultés qui se présentent. Il cède aux sirènes de certains clichés, à quelques facilités scénaristiques et musicales, mais s’acquitte de la tâche avec les honneurs.
Il a touché ma sensibilité en douceur, approché le sublime dans des séquences d’une dureté émotionnelle sans nom et exemptes de pathos par la magie de ses acteurs et d’une sobriété de bon aloi.
Bien sûr que le naturel est parfois sacrifié à la narration, mais comment faire autrement ? Il s’agit de l’adaptation d’une œuvre littéraire, par essence cette écriture (et parfois ses travers) transparaît malgré ce que, faute d’avoir lu le livre pour l’instant, je ne puis que qualifier de réussite. Le sujet exige à mon sens un certain recul, un niveau d’abstraction sans lequel on risque tout bonnement de sombrer dans l’excès (et, de là, le pathos) s’il est mal maîtrisé, ou de provoquer une explosion sensorielle chez le spectateur par trop de ressenti en trop peu de temps. Les dialogues poétiques, quasi métaphysiques, contribuent à maintenir cette salutaire distanciation.
Même ainsi, on n’est jamais bien loin d’être submergés.
Au centre de cette spirale, Hazel (Shailene), vibrante allégorie de ce que peut provoquer un tel déferlement d’émotions. J’en ai contemplé toute la substance dans cette scène d’une puissance presque douloureuse, lorsqu’elle prend conscience de ce qui l’attend, lorsque vient la réalisation du drame. Préparée qu’elle était, focalisée sur le mal qu’elle risquait de, qu’elle allait fatalement répandre autour d’elle, toute à cette souffrance altruiste et empathique, elle encaisse de plein fouet un recentrage forcé sur elle-même. Condamnée depuis des années, ayant fait son propre deuil, elle n’était pourtant aucunement armée pour cette épreuve éminemment personnelle.
Notre salut viendra en outre de quelques touches d’humour judicieusement distillées, provoquant même des rires francs. Ce secret, perdu pour certains, maintient l’équilibre délicat et la tension du métrage, il assure que nous comprenions la réalité et les enjeux de la situation. Comme dans la vraie vie, on peut rire de choses horribles, nous rappelle à point nommé ce grand benêt de faux rebelle de jeune premier et sa tête à claques.
Je n’ai même pas réussi à le détester, ce qui montre assez le talent qu’exprime le novice Boone.
Je serais sotte de refuser un tel lieu commun : il existe une flagrante universalité dans ce film, pas même contredite par sa conclusion, toute prévisible qu’elle soit. Il se paie le luxe d’un ou deux contrepieds en forme de parenthèses bienvenues pour souffler un peu (et boire, ça déshydrate tous ces pleurs). Le personnage de Willem Dafoe est délicieux, à défaut de respirer l’originalité et, soyons lucides, il n’est lui aussi qu’un outil visant à placer les principaux protagonistes face à leurs questionnements.
Ces artifices ne m’ont jamais dérangée dans le cas présent. On les voit et les accepte pour ce qu’ils sont : des paraboles en devenir, de qualité et de finesse variables, mais que seuls un aveuglement ou une hypocrisie hors du commun pourraient qualifier de vaines.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir connu un drame familial pour recevoir les enseignements de The Fault in our stars. Je ne pense pas non plus que beaucoup d’entre nous puissent prétendre y échapper à moyen ou long terme. Il n’est pas sain ni nécessaire de se complaire dans l’apitoiement, ainsi qu’une Laura Dern renaissante en fera la démonstration, mais je ne considère pas beaucoup plus pertinent de s’enfouir la tête dans le sable.
Voyez ce film. Qu’ensuite vous le jugiez extrême, pataud, excessif et maladroit, c’est égal. Il laissera son empreinte, qui ressurgira peut-être au moment opportun.
Moi ?
Je suis contente d'avoir pu l'apprécier. J'appelle de mes vœux ces claques rares et providentielles, peut-être même un chouia exigeantes. Ne me jugez pas, je ne suis plus une enfant, mais pas encore une femme.