Chronique des années de braise
Je suis tombé un peu par hasard sur Nos héros sont morts ce soir - je n'en avais pas entendu parler (du tout) même lors de sa présentation à la Semaine de la Critique, et c'est en tombant sur la bande-annonce de façon fortuite que j'ai pris connaissance de l'existence de ce film. Et j'ai été complètement hypnotisé. L'ambiance, l'utilisation du noir et blanc, le son, la musique, les gueules des acteurs... le film est passé du petit film à la sortie confidentielle que je n'aurais sans doute jamais vu de ma vie à l'une des sorties que j'attendais le plus cette année. Nos héros sont morts ce soir c'est l'histoire de deux catcheurs dans le début des années 60, dans une France qui soigne encore les cicatrices de la Guerre d'Algérie - je n'en dirais pas plus, car ce serait vous dévoiler des moments clés de l'intrigue. Coup de chance, il passe juste à côté de chez moi. Trois ou quatre personnes dans la salle, les lumières tombent, verdict.
Le film est imparfait, c'est la première chose qu'il faut noter. Mais à côté de ça, le jeune cinéaste David Perrault nous propose une véritable déclaration au cinéma, au film noir, représentant de manière presque jamais vu le trauma post-Guerre d'Algérie. La noirceur du contexte social déteint énormément sur une intrigue - très simple, mais bien écrite et surtout sublimée par une mise en scène impressionnante (l'éclairage, notamment dans les scènes de catch, est magistral, la photographie est superbe, le noir et blanc maîtrisé car très esthétique). Un peu de remplissage par-ci par-là (les scènes autour de la romance du "Spectre" sonnent un peu faux), et c'est un peu dommage, mais le film est à la base loin d'être très long (un peu plus d'une heure et demi) et globalement ces petits moments ne créent pas de longueurs.
Nos héros sont morts ce soir reste un film incroyablement cohérent, d'une grande maîtrise. C'est beau, c'est efficace, ça fait plaisir à voir, en plus c'est superbement interprété par un Denis Ménochet qu'on regrette de ne pas voir plus dans des rôles de premier plan et un Jean-Pierre Martins qui était déjà bien badass dans La Horde et qui confirme ici son charisme digne des meilleurs films d'Olivier Marchal.
On pourrait chipoter sur pas mal de choses : des effets scénaristiques parfois un peu gros, des personnages secondaires intéressants mais parfois peu développés, des scènes qui font tâche, ... Mais bon, entre la distribution scandaleuse du film (moins de vingt salles en France, c'est juste inadmissible pour un film comme celui-ci), la réussite technique et sensitive du film, sa reconstitution pas nécessairement historique mais surtout sociologique de cette époque (rarement vu le trauma d'Algérie traité de manière si réussie au cinéma), ses interprètes excellents, sa musique / ambiance sonore quasi-parfaite et des scènes d'anthologie (le combat de catch aux deux-tiers du film, qui arrive dans cette violence à transmettre tellement d'émotions et d'enjeux que je m'en mordais les doigts), on ne retiendra qu'une chose de Nos héros sont morts ce soir : voilà une excellente surprise, du cinéma français ambitieux et réussi, qui arrive à ses objectifs en proposant un produit original, reposant en partie sur un sport trop peu traité au cinéma et qui signe encore ici ses lettres de noblesse. Une bien belle claque, pas un film inoubliable mais clairement dans le haut du panier de ce qu'on a pu faire dans l'hexagone en 2013. Si vous avez la chance d'avoir un cinéma à proximité qui le diffuse, n'hésitez surtout pas (et je compte bien faire le maximum de pub possible!).