Film qui s'inscrit dans une grande tradition cinématographique (et tradition tout court) ce qui suppose déjà plusieurs choses : ne pas copier donc se défaire des modèles tutélaires, et jouer de la puissance de fascination d'un imaginaire collectif très puissant. Il s'agit en un sens, de se réapproprier cet imposant héritage (sans le trahir pour autant) afin de lui donner une résonance contemporaine pertinente. Nos critères d'évaluation doivent prendre en compte que l'enjeu ne se situe pas tant dans la force diégétique (qui en plus est ici dégradée) que sur la remotivation d'un imaginaire fascinant et terrifiant et sur la pertinence du traitement de la question de l'emprise.
Le format est bâtard : Eggers reste fidèle à l'histoire au prix d'une dilatation des effets et d'un ennui, voire desinteret du spectateur. Les dialogues sont théâtraux mais pas mémorables, le suspense n'est pas tenu ...
Le film qui conduit finalement à l'anesthésie et rend le spectateur passif face à tant de ficelles grossièrement tirées (screamers notamment), confinant à l'épouvante là où j'attendais plutôt l'inquiétante étrangeté de la fable gothique. Là où Eggers pourrait troubler, fasciner voire terrifier, il use le spectateur à grand renfort d'effets qui se regardent. Tout donne l'impression que le réalisateur s'intéresse davantage à l'effet produit par son cinéma qu'à sa véritable vision du mythe.
Un beau (parfois très beau) livre d'images qui manque de liant, de densité et de qualités d'écriture. Si l'on ajoute à cela la médiocre performance de Lily Rose Depp, campée dans un rôle difficile à tenir certes, puisqu'il ne permet pas de dévoiler une palette interprétative très large, il nous reste un bel emballage. C'est d'ailleurs le camouflage pompeux de ce vernis esthétique qui rend le manque de fond d'autant plus irritant. Car Eggers, fort d'une vision parfois saisissante (scène du carrosse très réussie), ne semble pas parvenir à se réaproprier le mythe en profondeur, ni à lui donner une résonance contemporaine marquante. Ce vernis ne cache que pour un temps les ficelles parfaitement hollywoodiennes et téléphonées qui y sont déployées.
Si le film tente de redonner la place qu'elle mérite au personnage féminin, qui est le centre de l'emprise, cette dernière demeure prostrée et (à part une scène) victime de la vision vulgaire et malsaine de l'eros / thanatos que choisit Eggers. Le parti pris de cet entremêlement de chairs "pures" et putréfiées aurait pu se révéler fécond (j'ai bien aimé l'idée d'exhiber la plastique monstrueuse du comte Orlok, qui met à nu l'horreur de la prédation du mâle, dépouillée de tout romantisme), mais il est traité sur un mode tellement vulgaire et irritant que ça tombe à l'eau ...
Si la première partie tient vraiment la route et joue sur ces puissances de fascination, les défauts d'un pari esthétique à la fois trop et pas assez engagé, sont déjà perceptibles. La représentation topique de la Roumanie folklorique se prend trop au sérieux (là où le mode musical aurait pu ouvrir d'autres possibilités cf Emilia Perez et le mélange des genres, il est important de rappeler qu'un peu de dérision ne torpille en rien la fascination ou la terreur qu'une oeuvre peut susciter), le rêve de Hutter, variation sur la femme fatale, n'ajoute aucune profondeur à la narration (cf beau livre d'images, alors qu'il aurait pu laisser place à une vision pertinente de l'inconscient d'Hutter, qui va quand même visiter le comte Orlok le lendemain). La deuxième partie collectionne quant à elle les clichés et chemine pesamment vers sa fin ...
Willem Dafoe, en praticien des "sciences" occultes, ajoute un peu d'humour à un tout qui se prend on ne peut plus au sérieux, et tient bien son rôle, sans faire de merveilles pour autant.
Le retour final aux teintes plus lumineuses est bien pensé +1