Nosferatu
6.4
Nosferatu

Film de Robert Eggers (2024)

"Je ne suis qu'appétit, rien de plus"...effectivement rien de plus.

Après The Witch, The Lighthouse et The Northman, Robert Eggers s'attaque à un monument du cinéma, Nosferatu; Et quel monument !

Cependant les monuments sont faits pour ne pas être dénaturés et Eggers s'est brulé les ailes au chant du coq en se risquant de réaliser un remake d'un tel classique. La passion de Eggers pour Nosferatu est là mais la maitrise du sujet est à revoir.


Les points positifs:


  • Les décors extérieurs-jours et intérieurs sont sublimes. L'Allemagne de la première moitié du XIXe siècle est là, même à travers la ville fictive de Wisborg (inspirée de Lübeck) et des montagnes des Carpates.
  • Les jeux d'ombres sont habiles et bien utilisés, heureusement, c'est faire preuve de respect à l'expressionnisme allemand et au travail des jeux d'ombres et de lumières de Murnau. Point pour la scène de l'ombre de la main du vampire qui s'étend sur la ville. Image symbolique et très parlante de l'emprise du comte Orlock sur Wisborg.
  • Le trio Dafoe, Hoult et Ineson est pertinent et efficace. J'avais une confiance aveugle en Dafoe qui ne déçoit pas. Ineson que j'avais découvert avec The Witch garde une prestance solide à l'écran et Hoult que je ne connaissais pas est relativement une bonne surprise.
  • La bande son de Carolan se prête solidement à l'ambiance et aux éléments visuels.

Malheureusement ça sera les seuls points positifs.


Les points négatifs:




  • Les décors extérieurs-nuits sont proches de l'arnaque du siècle. Un voile noir sur les 3/4 de l'écran avec un mur en pierre pour délimiter le champs. Ce choix permettra malheureusement de ne rien retenir des décors oppressants du château du comte Orlock.
  • La prestation mitigée de Lily Rose Depp. Je ne connaissais d'elle que son court passage dans le film "Le Roi"' qui ne m'avait pas marqué positivement. D'après les dires de Eggers, Lily-Rose Depp n'était pas le premier choix pour le casting de Ellen Hutter qui devait revenir à son actrice fétiche Anya Taylor Joy et malheureusement ce "second choix" se fait ressentir à l'écran. Lily Rose Depp n'est crédible que dans son jeu hystérique et totalement oubliable sur des scènes plus softs. Pour compenser cette fragilité à l'écran, le personnage d'Ellen est contraint d'enchainer crise d'hystérie sur crise d'hystérie, dénaturant ainsi totalement le personnage d'origine développé par Albin Grau, Murnau et Galeen. Eggers ne saisi donc pas la subtilité du lien qui anime la jeune fiancée avec le vampire. On passe donc d'un envoutement charnel et spirituel à une possession d'exorcisme.
  • L'usage du personnage de Knock, célèbre dévot du comte qui déclenche l'intrigue, est maladroitement utilisé. Eggers fait le choix d'une folie progressive décrivant d'abord un agent immobilier presque saint d'esprit à un aliéné complètement bestial au fil du film. Hors, dans l'oeuvre de Murnau, la première apparition de Knock transperce l'écran, il est déjà fou dévoué au vampire et n'est plus que l'ombre de lui même comme s'il avait passé sa vie à attendre la venue du comte. Le Knock de Murnau est un vrai dévot du vampire. Le Knock de Eggers n'est qu'une victime du comte.
  • La longueur du film. Presque 2h15, soit 45min de plus que la version de 1922. 45min de plus pour apporter quoi?...Absolument rien...Quoique si...les dialogues, me direz vous puisqu'il s'agit d'une version parlante. Mais comment rallonger l'histoire de 45min en apportant rien d'autre? Et même en retirant de nombreux éléments cultes. La traversée de la forêt fantomatique de 1922 se contente ici d'un plan fixe d'un chemin enneigé. L'entrée du vampire dans la chambre de Thomas n'est ici qu'une ellipse. La traversée en mer est écourtée avec peu de plans. La levée du vampire du cercueil est absente. Alors certes, nous n'attendons pas d'un remake les mêmes scènes plan par plan mais il s'agit là de l'essence du film. Des scènes essentielles absentes et remplacées par des dialogues futiles.
  • La facilité du film d'horreur moderne. Eggers traite d'un film d'épouvante et tombe dans le panneau de la facilité. A savoir, des jumpscares prévisibles et inutiles. Masquer les 3/4 de l'écran par un voile noir, ça aide pour ne pas voir le vampire arriver. Mais la lente approche du vampire de 1922, les yeux rivés sur sa victime n'est-elle pas plus effrayante qu'un plan sur Thomas apeuré sursautant devant une ombre ou un élément hors de l'écran. D'ailleurs choix artistique étrange que de ne presque jamais vouloir dévoiler (ou tardivement) l'aspect du vampire. Ce choix a pour effet de rendre totalement inefficace et inintéressante la scène du diner de Thomas Hutter scruté par le comte.

Enfin le plus gros point négatif.

  • Le choix artistique pour le personnage du Comte Orlock. Rien ne va. Eggers fait le choix d'un mix entre le Dracula de Bram Stoker et le travail d'Albin Grau pour la conception du Orlock de 1922. Tout le monde connait l'histoire. Nosferatu est une adaptation non autorisée du roman de Bram Stoker "Dracula". Le scénario est le même mais Henrik Galeen modifie les noms des personnages et des lieux. Le choix artistique et visuel est entrepris par Albin Grau qui opte pour un traitement du vampire qui diffère considérablement du roman d'origine. Orlock est un non-mort aux origines incertaines, pestiféré, dénué de pilosité, excepté de larges sourcils et de touffes de poils au dessus des oreilles. Des incisives pointues et non des canines, qui attire les rats et perturbe les hyènes. Orlock est la peste, une ombre de l'outre-rhin, icone de l'expressionnisme et allégorie de la mortalité de la Première Guerre mondiale. Orlock matérialise les ruines fumantes de la guerre et les dépouilles encore chaudes des jeunes générations d'allemands fauchés par la guerre. C'est cette approche typiquement allemande d'après-guerre qui rends Orlock si particulier. Et rien ni personne ne pourra le reproduire, si ce n'est que de tenter de l'imiter. Bill Skarsgard a tenté de le réincarner, malgré tous les postiches, l'obscurité, les apparitions suggérées, les artifices du montage et des effets speciaux... rien n'aura réellement permis de réanimer Orlock à l'écran. Le choix de Eggers pour le vampire s'éloigne de la conception d'Albin Grau pour se rapprocher de la vision de Bram Stoker. Un transylvanien mort puis maudit ayant besoin de se nourrir de sang humain en retrouvant sa bien aimée. Attirant les chauves souris et les loups garous. Orné d'une moustache épaisse et d'une chevelure partiellement dégarnie. Vêtue de fourrure et de manteaux semblable à la noblesse hongroise du XVe siècle. Tous ces choix visuels montre l'erreur de Eggers dans sa compréhension du Nosferatu de 1922. Autre innovation de la part de Eggers, concevoir une voix pour le vampire. Etrange choix que d'opter pour un vampire asthmatique, faisant penser à la respiration de Dark Vador accompagné de ronflements proches des ronronnements d'un chat (mais plutôt un bon gros vieux matou fatigué).

Eggers a visé trop haut. En voulant réanimer le célèbre vampire, il n'a finalement proposé qu'une pâle copie alternative comme un cousin éloigné du comte Orlock.

Nosferatu est immortel. Il traverse les âges. 90% des films muets sont aujourd'hui considérés comme perdus. Tant de films qui ont tentés d'être préservés mais qui ont disparu. Nosferatu, lui a subit tous les pires fléaux: les interdictions de diffusion, les destructions de bandes intentées par la veuve de Stoker, la suppression de la société Prana-Film, la mort prématurée de son réalisateur, la disparition de son scénariste, les bombardements de Berlin à la fin de la seconde guerre mondiale qui ont endommagées les archives conservées par le frère de Murnau...et pourtant il est encore là, parmi les 10% de films miraculés (maudit mais miraculé), s'offrant aux nouvelles génération. La version 2024 de Eggers aura peut être pour avantage de relancer un intérêt chez les nouvelles générations pour la version de 1922. C'est ce que je vais retenir de ce Nosferatu 2024, qu'il permet de se souvenir que Nosferatu 1922 existe.


ps: j'apprécie le clin d'œil qu'Eggers a entrepris en nommant le chat d'Ellen "Greta", prénom de l'actrice qui interprète Ellen en 1922, l'inoubliable Greta Schröder.

Souris-Volante
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le 18 janv. 2025

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